Ernst Kantorowicz

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Ernst Kantorowicz (Posen, aujourd'hui Poznań, le 3 mai 1895 - Princeton, le 9 septembre 1963) est un historien allemand naturalisé américain, spécialisé dans l'étude des idées politiques médiévales.

Sommaire

[modifier] Biographie

Né dans une famille juive allemande de distilleurs de Prusse orientale, il combat dans les tranchées de Verdun, puis sur le front ottoman ; après la capitulation allemande, il entame ensuite des études de philosophie à Berlin, et s'engage dans les Corps francs. En 1920, il part à Heidelberg pour y suivre les cours de deux des principaux médiévistes allemands de l'époque, Karl Hampe et Friedrich Baethgen. C'est pendant cette période que Kantorowicz participe aux réunions du Georgekreis, un cercle littéraire et intellectuel de passionnés d'un certain romantisme mystique, qui se réunissait autour du poète Stefan George. Le cercle érudit, parfois précieux (où l'exaltation du corps masculin renvoit à une homosexualité d'esthètes pratiquée par certains de ses membres) que réunissait le poète va marquer l'historien : devenu professeur aux États-Unis, il favorisait les échanges entre lui et ses élèves par des réunions de travail à son domicile. Son premier ouvrage est publié en 1927 ; c'est une biographie de l'empereur Frédéric II Hohenstaufen, jugée trop littéraire par les universitaires de l'époque, attaquée notamment par Albert Brackmann, professeur de l'université de Berlin lors d'une conférence intitulée « L'Empereur Frédéric II sous un regard mythique ».

Il obtient une chaire à l'université de Francfort, mais refusant de prêter serment au régime nazi, il doit en démissionner en 1934. Il reste cependant en Allemagne jusqu'en 1938 (non sans avoir envoyé un curriculum vitae dès le printemps 1934 au service des migrations internationales américain), date à laquelle il émigre, séjournant très brièvement à Oxford, puis aux États-Unis, où il enseigne à l'université de Californie, à Berkeley. Au moment du maccarthysme, il doit démissionner de son poste, et part à l'Institute for Advanced Study de Princeton.

C'est là qu'il publie son livre le plus connu, Les Deux Corps du roi, qui traite de la théologie politique médiévale. Kantorowicz y montre comment les historiens, théologiens et canonistes du Moyen âge concevaient et construisaient la personne et la charge royales[1] ; le roi possède un corps terrestre, tout en incarnant le corps politique, la communauté constituée par le royaume. Cet ouvrage reste aujourd'hui un des classiques de l'histoire médiévale. D'une manière générale, les travaux d'Ernst Kantorowicz ont représenté une contribution majeure à la compréhension de la genèse de l'État moderne, en particulier dans ses fondements symboliques. Aux États-Unis, Ernst Kantorowicz faisait partie de ceux que l'on a appelé les "cérémonialistes américains" se proposant d'étudier les symboles du pouvoir dans les monarchies anglaise et français à l'époque moderne. On peut citer son ami et historien de l'art Erwin Panofsky qui a offert à Kantorowicz une approche iconographique de la théorie des "deux corps" mais aussi deux de ses disciples, Ralph Giesey et Richard Jackson (le premeir auteur d'un ouvrage du Le roi ne meurt jamais et le second sur les acclamations royales intitulé Vivat rex).

On ne peut que regretter le fait que E. Kantorowicz soit quelque peu oublié des professeurs et des étudiants (en tout cas en France) en histoire. L'homme il est vrai, est complexe, sa vie pleine de paradoxes. On pourrait évoquer le fait que son "Frédéric II" (écrit dans la fin des années 20) était un livre qu'Adolf Hitler aimait beaucoup et que H. Goering a offert à B. Mussolini. E. Kantorowicz, lui qui a vu sa mère (Clara) et sa cousine (Gertrud, traductrice en allemand du philosophe H. Bergson et amie du sociologue G. Simmel) déportées par les nazis était le premier à regretter que son chef-d'œuvre puisse être non seulement apprécié par A. Hitler mais aussi utilisé à des fins politiques. E. Kantorowicz, issu d'une famille juive n'avait selon A. Boureau (voir la bibliographie) aucune attache particulière avec sa judéité. Il se pensait avant tout comme allemand. Il s'agit là peut-être d'une des clefs d'interprétation pour comprendre son départ si tardif d'une Allemagne devenue ouvertement raciste et antisémite. Lui, l'historien profondément attaché à l'Allemagne au point d'écrire la biographie du personnage le plus extraordinaire de son pays et du Moyen-Âge ne pouvait imaginer être inquiété pour ses origines juives.

En lisant la biographie de Kantorowicz par A.Boureau, on s'aperçoit ainsi avec stupeur qu'il lui faut attendre 1933 pour prendre conscience du caractère foncièrement antisémite du nazisme. Lorsque Kantorowicz doit quitter son poste, il rédige une lettre où il assure être un fervent partisan de la révolution nationale :

"Malgré mon ascendance juive, (...) il me semblait que je n'aurais pas besoin de garanties pour attester de mes sentiments en faveur d'une Allemagne réorientée dans un sens national ; il me semblait que mon attitude fondamentalement enthousiaste envers un Reich dirigé en un sens national, allait bien au-delà de l'attitude commune." "Ce texte", commente A.Boureau, "met mal à l'aise le lecteur : en 33 Kantorowicz partage le vocabulaire de ceux qui l'excluent. L'historien apparaît ici comme un réactionnaire nationaliste que seule sa judéité rejette malgré lui de la dérive nazie." (A. Boureau, "Histoires d'un historien", in Kantorowicz, Œuvres, Gallimard Quarto p. 1233)

Néanmoins, ce départ pour l'Amérique sera définitif. Il refuse la chaire que lui propose l'université libérée de Francfort et la même année devient citoyen américain et professeur à Berkeley. Constamment dans les tumultes de l'histoire, E. Kantorowicz ne trouva pas en Amérique le repos et le calme indispensables à sa réflexion. En 1949, refusant de signer le serment de loyauté de l'université, il est entrainé dans les ennuis du maccarthysme, soupçonné de communisme, il ne peut trouver le temps pour refondre son "Frédéric II" dont certains passages lui déplaisait depuis la seconde guerre mondiale et les ravages du nazisme lorsqu'il meurt.

E. Kantorowicz ayant le goût du mystère, le conserva jusqu'au bout. À sa mort en 1963, il demande à être incinéré, ses cendres devant être dispersées dans la Mer Caraïbe et ses documents personnels brûlés. Celui qui s'intéresse à cet historien reste face à une personnalité complexe aux prises avec l'histoire mouvementée du début du XXe siècle. Robert Folz, médiéviste français, fut un des historiens ayant fait connaitre Kantorowicz en france. "Eka", comme il était surnommé par ses amis et disciples, mérite d'être lu pour ses qualités littéraires et sa grande érudition.

[modifier] Ouvrages

  • (de) Kaiser Friedrich der Zweite, Berlin, 1927.
    • (fr) Frédéric II, Gallimard, Paris, 1987.
  • Mourir pour la patrie, Presses universitaires de France, 1984.
  • (en) The King’s Two Bodies: A Study in Mediaeval Political Theology, Princeton, 1957.
    • (fr) Les Deux Corps du roi, Paris, 1989.
  • Selected Studies, New York, 1965.
  • (en)Laudes Regiae. A Study in Liturgical Acclamations and Medieval Ruler Workship, Los Angeles, 1946

[modifier] Bibliographie

  • Alain Boureau, Histoires d'un historien, Éditions Gallimard, coll. « L’Un et l’Autre », Paris, 1990
  • Otto Gerhard Oexle, L'historisme en Débat. De Nietzsche à Kantorowicz, Aubier, 2001.
  • R. E. Giesey, Le roi ne meurt jamais, Flammarion, 1992.
  • R. E. Giesey, Le rôle méconnu de la loi salique, Les, Belles Lettres, 2006.
  • R. E. Giesey, Cérémonial et puissance souveraine, Editions de l'EHESS, 1995.
  • R. A. Jackson, Vivat Rex, Université de Strasbourg, 1984.

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes

  1. Voir à ce sujet les articles roi et royauté.