Elizabeth Costello

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Elizabeth Costello est un roman (2003) de J. M. Coetzee, prix Nobel de littérature.

Bien que ce soit une fiction, l'histoire, très personnelle, est axée sur huit conférences, autant de chapitres, données, lors de ses dernières années, par le personnage (fictif) d'Elizabeth Costello, un auteur australien fameux de The House on Eccles Street (La Maison de la rue Eccles, 1969 — qui donna une voix à Molly Bloom, le personnage féminin d' Ulysse de James Joyce). Elle se sent âgée (elle serait née en 1928) et le public ne se rappelle guère d'elle, uniquement au travers de son œuvre sur Molly Bloom, et a presque oublié ses huit autres romans, ses deux recueils de poèmes et des articles divers. Elle accepte une série de conférences dans l'Ancien et le Nouveau Monde, dans lesquelles elle remet en abyme le langage philosophique et celui de tous les jours, en décevant son public. Plusieurs des conférences ainsi décrites sont celles que J. M. Coetzee a lui-même prononcées.

Coetzee poursuit son travail de sape en signant ce récit qui, entre roman et essai, prend sa source chez Voltaire, dans les dialogues socratiques et dans un texte sulfureux, Le Neveu de Rameau. L'histoire ? Celle d'une romancière australienne vieillissante, Elizabeth Costello, qui promène son insolence à travers le monde, où elle est invitée à donner conférences et interviews. En huit chapitres iconoclastes, cette petite sœur de Diogène ne cessera de déranger, de semer la zizanie en fracassant idées reçues et lieux communs... « Je suis écrivain, je n'entretiens que des croyances provisoires : des croyances immuables seraient des obstacles sur ma route », dit-elle à tous ceux qui, au nom de la morale ou des idéologies, de la religion ou de la politique, veulent imposer leurs dogmes à leur époque. Ce livre est un vibrant éloge de l'incrédulité, dans un monde gavé de certitudes et de préjugés.

Elizabeth Costello commence par : « Il y a tout d’abord le problème de l’ouverture, c’est-à-dire comment nous faire passer d’où nous sommes, c’est-à-dire en ce moment nulle part, jusqu’à l’autre rive. C’est une simple affaire de pont, il s’agit de bricoler un pont, ni plus ni moins. » L’autre rive, celle de la fiction. Sans plus d’artifices, J. M. Coetzee nous fait traverser le pont : « Admettons que le pont est jeté, qu’on l’a traversé et qu’on peut cesser d’y penser. Nous avons quitté le territoire où nous nous trouvions. Nous sommes de l’autre côté, sur le territoire où nous voulons être. » Et le récit d’Elizabeth Costello commence. Coetzee plante quelques jalons de façon toute aussi laconique : écrivain, née en 1928, « a écrit neuf romans, deux recueils de poèmes, un livre sur la vie des oiseaux et d’innombrables articles de journaux », « australienne de naissance ». Il y a bien sûr une proximité entre Costello et Coetzee. Comme elle, il déteste les apparitions publiques, évite les entretiens et se plie par obligation à l’exercice ennuyeux des conférences universitaires. Ce sont ces huit conférences qui constituent la trame du roman, dont le sujet est… le roman. Qu’est-ce que la fiction, qu’est-ce que l’acte d’écrire ? Elizabeth Costello pose des questions, commente d’une voix ironique et lucide, comme dans le chapitre intitulé « Le roman africain » : « … le roman africain n’est pas écrit par des Africains pour des Africains. Il se peut que les romanciers africains écrivent sur l’Afrique, sur des expériences africaines, mais il me semble que, pendant qu’ils écrivent, ils n’arrêtent pas de loucher vers les étrangers qui les liront. » Par conséquent : « …comment pouvez-vous explorer un monde dans toutes sa profondeur si en même temps vous devez l’expliquer à des étrangers ? C’est comme si un savant devait donner toute son attention créatrice à ses recherches, tout en expliquant en même temps ce qu’il fait à une classe d’étudiants ignares. » Les questions d’Elizabeth Costello sont confrontées à celles des autres, ses contradictions sont mises à nu. Elle n’essaie pas les esquiver, avoue être « l’une et l’autre », « être une autre ». Que peut l’écriture devant le mal ? Rien, semble-t-elle dire, elle qui « ne croit plus que raconter des histoires est une bonne chose en soi », qui, « telle qu’elle est aujourd’hui », choisirait de « faire le bien » plutôt que de raconter une histoire.