Sociologie pragmatique

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Depuis la fin des années 1980, l'émergence d'une nouvelle problématique sociologique a notamment en France donné lieu a un style nouveau que l'on peut nommer plus communément de sociologie pragmatique.

Cette perspective sociologique occupe au début du XXIe siècle un rôle de premier plan dans le paysage intellectuel contemporain et dans le champ des sciences sociales en France et ailleurs. Ce rôle qui du reste ne cesse de croître et de s'étendre à des domaines multiples et variés, compte tenu du succès de nombreux travaux empiriques et publications scientifiques en sociologie du travail, de la santé, de l'école, de l'art, etc.

Sommaire

[modifier] Description

L'ambition de la sociologie pragmatique est d'opérer une série de déplacements par rapport à la sociologie classique :

  • Premièrement, elle s'efforce de déplacer l'opposition traditionnelle entre l'individu et le collectif. Elle s'inscrit par voie de conséquence dans l'espace des nouvelles sociologies : soit cet univers sociologique qui chercher à échapper à « l'opposition rituelle du collectif et de l'individuel », du holisme et de l'individualisme[1].
  • Deuxièmement, elle a pour ambition de déplacer les catégories sociologiques usuelles - classe sociale, statut, rôle, culture, société, pouvoir, etc. -, en se détachant, selon l'expression de Philippe Corcuff, des « sociologies bulldozers » classiques, contribuant à rabattre l'ensemble des situations observables sur un type de situation; ce faisant elle nous « invite à confectionner des outils d'analyse prenant en compte une pluralité de modes d'engagement des êtres, humains et non humains, dans le mode »[2].
  • Troisièmement, elle refuse de se situer dans une logique exclusive de rupture avec le sens commun, mais dans un double mouvement de continuité et de discontinuité avec lui. Il s'ensuit un renversement de perspective par rapport à la posture épistémologique d'un Pierre Bourdieu - on passe de la sociologie critique à la sociologie de la critique, selon Luc Boltanski (1990).
  • Quatrièmement, elle se démarque aussi de l'optique de l'individualisme méthodologique de Raymond Boudon. Par rapport à celui-ci, la sociologie pragmatique récuse l'idée d'un individu rationnel uniforme, calculateur et utilitariste, préférant recourir à des notions comme celle d'« actants », de « personnes » d'« êtres », etc. qui peuvent être tout autant des personnes singulières que des objets, des entités morales et juridiques. Quant aux personnes humaines elles-mêmes, la sociologie pragmatique met l'accent sur la variété de leurs états, en fonction des situation. Laurent Thévenot (2006) parle ainsi d'« une personnalité à tiroir ».

Ce que l'on nomme « pragmatique » n'est pas une invention des sociologues à proprement parler. Elle a déjà une longue histoire qui plonge ses racines dans des traditions philosophiques, plus particuliérement la philosophie analytique et la philosophie du langage ordinaire, ainsi que dans divers domaines des sciences de l'homme, tel que la théorie linguistique, la sémiotique.

Certains auteurs parlent de « tournant pragmatique », d'autres de l'« âge de la pragmatique ». Du reste il n'y a pas une mais « plusieurs pragmatiques » : la pragmatique philosophique, la pragmatique linguistique, la pragmatique sociolinguistique, etc.; des auteurs aussi distingués que Austin et Searle, Habermas et Goffman, Bruno Latour et Luc Boltanski se réclament tous, d'une manière ou d'une autre, d'une certaine pragmatique, même si ce n'est pas exactement la même.

[modifier] Bibliographie

  • Bessy, Christian, Chateauraynaud, Francis, 1995, Experts et faussaires - Pour une sociologie de la perception, Paris, Métailié.
  • Boltanski, Luc, 1990, L'amour et la justice comme compétences. Trois essais de sociologie de l'action, Paris, Métailié.
  • Boltanski, Luc, Thévenot, Laurent, 1991, De la justification. Les économies de la grandeur (1° éd. 1987), Paris, Gallimard.
  • Boltanski, Luc, Chiapello, Ève, 1999, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.
  • Boltanski, Luc, Vitale, Tommaso, 2006, Una sociologia politica e morale delle contraddizioni, in Rassegna Italiana di Sociologia, n° 1, pp. 91-116.
  • Centemeri, Laura, 2006, Ritorno a Seveso. Il danno ambientale, il suo riconoscimento, la sua riparazione, Milano, Bruno Mondadori.
  • Chateauraynaud, Francis, 1991, La faute professionnelle - Une sociologie des conflits de responsabilité, Paris, Métailié.
  • Chateauraynaud, Francis, Torny, Didier, 1999, Les sombres précurseurs. Une sociologie pragmatique de l'alerte et du risque, Paris, éditions de l'EHESS.
  • Corcuff, Philippe, 2001, « Usage sociologique de ressources phénoménologiques : un programme de recherche au carrefour de la sociologie et de la philosophie », dans Phénoménologie et sociologie, sous la direction de Jocelyn Benoist et Bruno Karsenti, Paris, PUF.
  • Corcuff, Philippe, 2003, Bourdieu autrement, Paris, Textuel.
  • Corcuff, Philippe, Sanier, Max, 2000, « Politique publique et action stratégique en contexte de décentralisation. Apreçus d'un processus décisionnel après la bataille », Annales. Histoire, sciences sociales, vol.55, n°4, juillet-août 2000.
  • Desrosières, Alain, 1993, La politique des grands nombres - Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte
  • Dodier, Nicolas, 1993-a, L'expertise médicale - Essai de sociologie sur l'exercice du jugement, Paris, Métailié
  • Dodier, Nicolas, 1993-b, « Les appuis conventionnels de l'action - Eléments d'une pragmatique sociologique », revue Réseaux (CNET), n°62, novembre-décembre.
  • Dodier, Nicolas, 1995, Les hommes et les machines. La conscience collective dans les sociétés contemporaines, Paris, Métailié
  • Heinich, Nathalie, 1998, Ce que l'art fait à la sociologie, Minuit, « Paradoxe », Paris.
  • Lafaye, Claudette, 1996, La sociologie des organisations, Paris, Nathan-Armand Colin.
  • Lafaye, Claudette, Thévenot, Laurent, 1993, « Une justification écologique? Conflits dans l'aménagement de la nature », Revue Française de Sociologie, vol.34, n°4, octobre-décembre.
  • Lemieux, Cyril, 2000, Mauvaise presse. Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques, Paris, Métailié.
  • Nachi, Mohamed, 2006, Introduction à la sociologie pragmatique, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus ».
  • Thévenot, Laurent, 2006, L'action au pluriel. Sociologie des régimes d'engagement, Paris, La Découverte.
  • Thévenot, Laurent, 2006, « Organizzazione e potere. Pluralità critica dei regimi di coinvolgimento », in Borghi, Vitale (a cura di), Le convenzioni del lavoro, il lavoro delle convenzioni, numero monografico di Sociologia del Lavoro, Franco Angeli, Milano.
  • Vitale, Tommaso, 2005, « Contrattualizzazione sociale », La Rivista delle Politiche Sociali, vol. 4, n° 1, pp. 291-323.

[modifier] Auteurs qui peuvent se rattacher à cette discipline

[modifier] Notes et références

  1. Voir (Philippe Corcuff, Les nouvelles sociologies, Nathan-Armand Colin, 1995, p.16).
  2. Dans Philippe Corcuff, "Usage sociologique de ressources phénoménologiques : un programme de recherche au carrefour de la sociologie et de la philosophie", dans Phénoménologie et sociologie, sous la direction de J. Benoist et B. Karsenti, PUF, 2001, p.110.

[modifier] Voir aussi