Postmodernisme

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Le postmodernisme désigne un mouvement artistique, initié et théorisé par Charles Jencks[1], qui engage une rupture ironique avec les conventions anhistoriques[2] du modernisme en architecture et en urbanisme, tout particulièrement avec les prétentions à conclure l'histoire et à ignorer la géographie du style international.

Dans Le Langage de l'architecture post-moderne, qui est le premier manifeste publié par ce mouvement[3], Charles Jencks réinscrit l'architecture dans le fil d'une histoire générale des mouvements artistiques, incite à un retour aux compositions et aux motifs empruntés au passé[4], à un éclectisme s'appuyant sur un regard nouveau portant aussi bien sur la culture populaire et son expression architecturale (le "vernaculaire commercial" de Robert Venturi[5]), que sur la culture savante (le "néo-classique" de Ricardo Bofill).

Le postmodernisme est un courant majeur de la pensée architecturale de la deuxième moitié du XXe siècle. Il introduit une distance critique par rapport à un discours moderne devenu hégémonique. Considéré aux USA comme un terme purement stylistique, le postmodernisme est la réintroduction de l'éclectisme en architecture, mais en englobant aussi le modernisme et le style international, reconsidérés comme de simples moments de l'histoire de l'architecture. Mais en Europe, ce discours critique porte aussi sur la décontextualisation sociale, politique[6] et géographique de l'l'urbanisme moderne admettant à des contre-propositions comme celles de Christopher Alexander ou de François Spoerry[7].

Le terme postmodernisme a été utilisé aussitôt par des philosophes de la déconstruction comme Jean-François Lyotard[8] pour désigner un courant de l'histoire des idées et de la littérature de la Post-modernité. Par la suite, on a assimilé au postmodernisme tous les avatars déconstructivistes se réclamant de la Post-modernité, comme l'oeuvre de l'architecte Rem Koolhaas.

Bien que les deux termes soient souvent employés indifféremment, il convient de distinguer le postmodernisme, compris en tant que mouvement artistique, de la Post-modernité, caractéristique des sociétés post-industrielles. Nous renvoyons donc à cet article pour tous les aspects politiques, sociaux et philosophiques.

Hôtel de Région de Montpellier de Ricardo Bofill.
Hôtel de Région de Montpellier de Ricardo Bofill.

Sommaire

[modifier] L'esthétique postmoderniste

[modifier] Recyclage de formes préexistantes : citation, pastiche, parodie

Si le modernisme se caractérise par la création de formes nouvelles, le postmodernisme réutilise des formes préexistantes. Là où Le Corbusier veut renouveler complètement non seulement le style des bâtiments mais la conception même de l'habitat, un architecte tel que Ricardo Bofill utilise des éléments décoratifs empruntés à l'art classique ou antique (colonnes, frontons, etc.). L'innovation moderne se fonde toujours sur l'oubli ou l'ignorance des traditions propres à chaque art qui sont considérées comme un frein à l'originalité. Ce qui caractérise au contraire l'artiste postmoderne, et son originalité, c'est qu'il a sû acquérir une maîtrise assez parfaite de l'histoire et des techniques les plus académiques de son art.

Les références à l'art du passé peuvent prendre des formes très diverses, depuis l'utilisation de détails stylistiques jusqu'à l'application rigoureuse de règles formelles anciennes, telles que la composition, la symétrie, l'ordonnancement, etc... Les modalités peuvent également varier, de l'hommage à la citation ironique. Mais le plus caractéristique de l'attitude postmoderne est l'« hommage ironique » qui joue sur l'ambiguïté : ainsi l'hommage à Nijinski du sculpteur Barry Flanagan présente un lièvre burlesque dans une pose du danseur.

[modifier] Syncrétisme esthétique : collage, mixage et mélange

L'œuvre postmoderne se présente souvent comme un collage d'éléments hétéroclites sans souci d'harmonie. On prendra pour exemple le roman At swim-two-birds de l'irlandais Flann O'Brien qui met bout à bout des textes de genres aussi divers que le western et l'épopée médiévale, en passant par le conte de fées et le vaudeville.

Les procédés du collage et du détournement ne sont pas en eux-mêmes des spécificités du postmodernisme puisque c'est le surréalisme qui les a proposés. Les romans modernistes de la trilogie U.S.A. de John Dos Passos ou ceux de la trilogie Les somnambules de Hermann Broch se présentent également sous forme de collages de textes appartenant à des genres divers. Mais dans ces deux cas, le but recherché est d'effectuer une synthèse entre ces éléments pour appréhender une réalité complexe : les États-Unis pendant la grande dépression pour Dos Passos, la perte des valeurs en Europe occidentale pour Broch.

L'artiste postmoderne recherche au contraire le contraste entre les différents éléments et l'effet de distanciation qui en résulte.

[modifier] Culture populaire et culture élitaire

Si le postmodernisme efface le temps et l'espace pour rendre toute la culture immédiatement présente, il efface aussi la hiérarchie entre culture élitaire et culture populaire. On peut citer par exemple l'adoption et le détournement de genres populaires par des écrivains : roman policier dans Cosmos de Witold Gombrowicz, roman d'espionnage dans Lac de Jean Echenoz, etc.

Un exemple particulièrement frappant de cet effacement est la convergence entre l'art contemporain et la publicité. Ainsi de l'Américain Andy Warhol, chef de file du pop art, qui fut publicitaire avant de devenir artiste et dont l'œuvre repose sur l'imaginaire populaire (marques, stars, clichés, etc.). À l'inverse, on voit de nombreuses publicités détourner des œuvres de l'histoire de la peinture.

De fait, la seconde moitié du XXe siècle est marquée par l'explosion de la culture de masse, relayée par une industrie des médias toujours plus puissante. Cette culture médiatique touche toutes les classes sociales et devient l'un des fondements de l’imagination collective.

[modifier] L'ironie postmoderne

L'ironie est considérée par certains auteurs comme la caractéristique essentielle du postmodernisme. Plus généralement, on peut considérer que là où le modernisme place l'auteur et la création au centre de son esthétique, le postmodernisme fait jouer ce rôle à l'interprétation. Le simple fait d'apporter un regard nouveau sur un texte ou une œuvre picturale amène à en faire une œuvre nouvelle. Le plasticien Jeff Koons s'est ainsi rendu célèbre en transformant des objets kitsch en œuvres d'art.

Ce regard ironique se pose aussi naturellement sur l'œuvre postmoderne elle-même, et aboutit à l'auto-commentaire. On pourra citer l'exemple de Feu pâle de Vladimir Nabokov, formé d'un récit poétique et du commentaire de ce récit, ou de L'œuvre posthume de Thomas Pilaster d'Éric Chevillard qui fonctionne sur le même principe. On est proche ici de l'effet de distanciation théorisé par Bertolt Brecht ou Victor Chklovski.

[modifier] Épistémologie moderne et ontologie postmoderne

Le critique Brian McHale compare la différence existant entre le modernisme et le postmodernisme à celle qui sépare l'épistémologie (théorie de la connaissance) et l'ontologie (théorie de l'être). Ainsi, le modernisme cherche à construire une image fidèle du monde réel, en dépassant les limites de la perception humaine. Le postmodernisme s'interroge plutôt sur le statut du monde fictionnel créé par l'œuvre d'art et son rapport au monde réel. L'exemple par excellence en est la vertigineuse nouvelle Tlön, Uqbar, Orbis Tertius (publiée dans le recueil Fictions) de Jorge Luis Borges dans laquelle le monde réel est peu à peu colonisé par le monde fictionnel de Tlön. Il est clair que le postmodernisme se veut ainsi bien éclectique.

[modifier] Le problème des précurseurs

Le postmodernisme est-il une ère nouvelle lié au développement du capitalisme post-industriel ou un aspect qui a toujours existé ? On peut en effet constater que de nombreuses caractéristiques de l'esthétique postmoderne se retrouvent dans des œuvres du passé.

En architecture, on retrouvera des éléments postmodernes dans l'architecture de la Sécession viennoise ou celle de l'architecte slovène Jože Plečnik.

Il reste toutefois que le postmodernisme dans les arts plastiques ne devient un mouvement artistique qu'à la fin des années 1970 avec le manifeste de l'historien de l'art Charles Jencks qui lui donne un nom et le définit.

En littérature, si les prémisses du postmodernisme apparaissent dans At Swim-two-Birds de Flann O'Brien (1939) ou dans Le chiendent de Raymond Queneau (1933), on remarque que ces auteurs ne font que reprendre une tradition qui remonte à Rabelais et Laurence Sterne, en passant par Flaubert (Bouvard et Pécuchet) ou Alfred Jarry (Gestes et opinion du docteur Faustroll, pataphysicien).

[modifier] Exemples d'œuvres et artistes postmodernes

Nous présentons ci-dessous une liste succincte d'œuvres caractéristiques du postmodernisme, sans prétendre à l'exhaustivité. Des articles spécialisés ou des catégories permettent d'approfondir les différents aspects du postmodernisme.

[modifier] Architecture

Icône de détail Article détaillé : Postmodernisme (architecture).

[modifier] Mode

[modifier] Musique

[modifier] Arts visuels

[modifier] Littérature

Voir aussi catégorie:Postmodernisme (littérature)

[modifier] Philosophie

Ce que les philosophes appellent postmoderniste n'a pas grand rapport avec le postmodernisme dans les arts. Des philosophes qui sont considérés membres du mouvement post-moderne sont Jacques Derrida, Michel Foucault, Jean-François Lyotard, Richard Rorty, Jacques Lacan, Gilles Deleuze et Félix Guattari, c'est-à-dire en fait le Déconstructivisme.

[modifier] Notes et références

  1. Le mot post-modernisme apparait pour la première fois dans une conférence prononcée par Charles Jenks en 1975 à Eindoven, avec la volonté de clore le Mouvement moderne.
  2. Voyez: L'a-historicisme du Bauhaus et ses conséquences", par Bruno Zevi. On doit remarquer que l'anhistoricisme a aussi été, à la même époque, un principe du Freudisme.
  3. Paru à Londres en 1977. La même année Robert Stern parle du postmodernisme dans plusieurs revues comme Architectural design, et le définit par "trois aspects: le contextualisme, la référence historique et l'emploi de l'ornement". C. Ray Smith publie à New York Hypermanièrisme, Nouvelles tendances de l'architecture postmoderne.
  4. L'ornement est progressivement réhabilité des anathèmes d' Adolf Loos, d'abord esthétiquement par Robert Venturi, puis anthropologiquement dans Recherches sur les fonctions sociales de l'ornement, par Louis Maitrier.
  5. Learning from Las Vegas, par Robert Venturi
  6. Charles Jenks renvoie judicieusement à la définition que donne Hannah Arendt de l'"Espace public" qui est un chapitre de La Condition de l'homme moderne..
  7. Charles Jenks rapporte une conversation en 1977 avec Maurice Culot "un des responsables de l'ARU à Bruxelles qui a passé dix jours à Port Grimaud pour discuter avec l'architecte" et qui lui confiera que "ce type de réalisation était ce qui convenait pour le peuple, mais que ses responsables communistes locaux restaient trop attachés aux modèles d'urbanisme des années trente." Dès 1972, Henri Lefebvre était venu tenir son séminaire de sociologie urbaine à Port Grimaud.
  8. Dons le livre éponyme: La Condition post-moderne, 1979

[modifier] Bibliographie

  • (en)Hannah Arendt, La Condition de l'homme moderne (1959), 1984 trad. française
  • (en)Christopher Alexander, Fonctions de l'architecture moderne, 1975
  • Bruno Zevi, L'a-historicisme du bauhaus et ses conséquences (1976)
  • (en)Christopher Alexander, A Pattern Language : Towns, Buildings, Construction. (1977) New York, Oxford University Press, non traduit
  • (en)Peter Blake (architecte), Forms folows fiasco (1978) traduction française en 1980
  • Charles Jencks, Le Langage de l'architecture post-moderne (1979)
  • Robert Venturi, D Scott Brown, L'enseignement à Las Végas, ou la Symbole oublié de la forme architecturale (1979)
  • Philippe Muray, Le XIXe siècle à travers les âges, 1984, Denoël
  • (en)Anthony Giddens, Les Conséquences de la modernité, trad française 2002, L'Harmattan
  • Rosalind Krauss, L'originalité de l'avant-garde et autres mythes modernistes
  • Arthur Danto, L'art contemporain et la clôture de l'histoire
  • Gilles Deleuze, Le Pli - Leibniz et le baroque, 1988, Minuit
  • Bruno Latour, Nous n'avons jamais été modernes, 2002
  • (en)Brian McHale, Constructing postmodernism
  • (en)Ihab Hassan, The dismemberment of Orpheus: toward a postmodern literature
  • Thierry Labica, « Le grand récit de la postmodernité. À propos de Le Postmodernisme ou la logique du capitalisme tardif de Fredric Jameson », in La Revue internationale des livres et des idées, n° 1, sept.-oct. 2007 (en ligne)

[modifier] Voir aussi

[modifier] Liens externes

  1. Article post-modernisme du Dictionnaire International des Termes Littéraires
  2. Wiener Postmoderne
  3. le moulé-troué de Edouard François