Nihilisme

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Le nihilisme (latin : nihil, « rien ») est un point de vue philosophique d'après lequel, le monde (et particulièrement l'existence humaine) est dénué de toute signification, tout but, toute vérité compréhensible ou toute valeur.

Cette notion a été reprise, dans différents contextes philosophiques, historiques et politiques.

Sommaire

[modifier] Nihilisme philosophique

Dans la Grèce antique, le sophiste Gorgias développa des thèses nihilistes. Ce fut l'un des premiers philosophes à le faire. Ces thèses se résument en trois points :

  • Rien n'existe.
  • Si quelque chose existe, ce quelque chose ne saurait être appréhendé et encore moins connu par l'homme.
  • Même s'il l'était, son appréhension ne serait pas communicable à autrui

Au XIXe siècle, Friedrich Nietzsche décrit l'accélération de l'Histoire avec les déséquilibres qui s'accentuent compensés par la tyrannie anonyme des institutions génératrice de stress. Pour ce dernier, la notion de nihilisme révèle un paradoxe intéressant. Il décrit deux formes de nihilisme :

  • un nihilisme des faibles (ou nihilisme dionysiaque) : « Un nihiliste est un homme qui juge que le monde tel qu'il est ne devrait pas exister, et que le monde tel qu'il devrait être n'existe pas. Donc vivre (agir, souffrir, vouloir, sentir) n'a pas de sens : ce qu'il y a de pathétique dans le nihilisme, c'est de savoir que tout est vain - et ce pathétique est encore une inconséquence chez le nihiliste" (Nietzsche). Ce nihilisme peut être rapproché de la doctrine de Schopenhauer, qui influença grandement la pensée du philosophe.
  • un nihilisme des forts (ou nihilisme apollonien), lorsque les croyances s'effondrent du fait qu'elles sont dépassées.

Selon Nietzsche, l'état normal du nihilisme, qui est la négation de l'être, est une manière divine de penser, en ce sens qu'elle est un rejet définitif de tout idéalisme (du nihilisme au sens faible) et de ses conséquences (la morale entre autres).

Franz Kafka, Louis-Ferdinand Céline, Albert Camus par exemple dans Le Mythe de Sisyphe (1942) au théâtre, Eugène Ionesco dans La cantatrice chauve (1950) illustrent cette aliénation de l'individu occidental et son vide existentiel corseté. Ces contraintes permettent chez des artistes comme les surréalistes un dépassement symbolique.

Cioran inventa le nihilisme pessimiste, qui ne laisse à l'homme aucune lueur d'espoir. Mais l'auteur qui poussa le nihilisme dans son plus lointain extrême fut certainement Albert Caraco, qui voyait la vie comme un non-sens absolu.

[modifier] Nihilisme de Gorgias ou ses propos sur le non-être

Comme expliqué plus haut, la thèse nihiliste de Gorgias se fonde sur trois principes essentiels :

  • Rien n’existe.
  • Si quelque chose existe il ne peut être appréhendé par l’Homme.
  • Si son appréhension a été possible, elle ne peut en aucun cas être communicable à autrui.


Sur le fait que rien n’existe, voici l’argumentation de Gorgias expliquée de manière simplifiée :

Si quelque chose existe, c’est forcement l’être ou le non être. Or ni l’un ni l’autre n’existe.

  • Le non-être n’existe pas. En effet, penser le non-être comme tel est en soit la preuve que le non-être n’existe pas. D’autre part, le non-être en tant qu’idée existe. Or une chose ne peut à la fois exister et ne pas exister. Donc le non-être n’existe pas.
  • De même, l’être n’existe pas. Car si l’être existe, il est soit dérivé, soit non dérivé (comprendre « dérivé » dans le sens « issu de quelque chose »). Cependant, si l’être est non dérivé, il n’a pas de commencement, et est alors infini. Mais, si l’être est le contenu d’un contenant qui serait l’espace qui l’entoure, alors l’être ne peut être infini car il n’existe aucun contenant qui sois plus grand que l’infini. Si l’être ne peut être contenu dans un contenant, il n’existe pas. De même, si l’être est dérivé, alors il est issu soit de l’être soit du non-être. Or ce qui donne naissance doit faire partie de l’existence, ce qui n’est pas le cas du non-être. Donc l’être ne peut être dérivé du non-être. De même, l’être ne peut être issu de l’être, car il n’est pas né mais existe de tout temps. En d’autre termes, si un être est issu d’un autre être, cet autre doit lui-même être issu d’un autre être, ce qui crée une infinité, et ramène l’être dérivé à la condition d’être non dérivé. Donc il est impossible que l’être soit.

Ainsi, si ni l’être ni le non être n’existent, alors rien n’existe.

[modifier] Nihilisme et bouddhisme

Le bouddhisme est souvent confondu avec le nihilisme. Cela est une interprétation erronée ou simplement une ignorance de la notion de vacuité (shûnyâta), qui, certes, littéralement signifie "vide". Cette vue fausse vient de notre manière instinctive de penser en terme de dualité (si ce n'est pas la gauche, alors c'est la droite, etc.). Le bouddhisme rejette tant l'Etre que le Néant, concepts qui tous deux ne correspondent à aucune réalité (l'Etre n'est pas, puisqu'il n'y a rien de permanent, et le Néant n'est pas, par définition : la réalité est quelque chose qui n'est ni l'un ni l'autre et que la pensée discursive ne peut saisir).

Quand on dit que les choses sont vides d'existence propre, on veut dire qu'elle n'existent pas par elles-mêmes, c'est-à-dire qu'elles dépendent des autres pour exister. De plus, comme elles sont impermanentes donc transitoires, elles n'existent pas durablement. C'est en ce sens que l'on parle de non-existence, de vacuité.

Le concept de "vacuité absolue" est cependant ce qui s'approche le plus du "néant" de la philosophie occidentale, et le nirvāna est défini dans les textes comme "là où il n'y a rien, où rien ne peut être saisi" (Sutta Nipāta, 1093-1094). Le bouddhisme est souvent vu comme nihiliste parce qu'il n'affirme pas la survie d'une quelconque âme, à la différence de la plupart des religions théistes. En réalité, la philosophie bouddhiste prétend se placer au-delà de l'être et du non-être, dans la non-dualité.

[modifier] Nihilisme politique

Le nihilisme correspond aussi à un mouvement politique en Russie, parfois appelé « nihilisme destructeur », responsable notamment de l'assassinat du tsar Alexandre II.

Le nihilisme a existé comme critique sociale en Russie au XIXe siècle. Il évolua vers une doctrine politique n'admettant aucune contrainte de la société sur l'individu, en refusant tout absolu religieux, métaphysique, moral ou politique. Par extension, nom donné aux mouvements révolutionnaires anti-tsaristes qui prônèrent le terrorisme politique. Bien qu'éphémère, ce mouvement politique aura soulevé des questions auxquelles s'intéresseront les penseurs de tous horizons. De ces interrogations naîtra une doctrine philosophique en relation avec l'absurde sociologique, la négation des valeurs morales et plus généralement, la négation de l'existence d'une réalité substantielle.

Le terme nihilisme fut popularisé par l'écrivain russe Ivan Tourgueniev dans sa nouvelle Pères et fils (1861) pour décrire, au travers de son héros Bazarov, les vues de l'intelligentsia radicale russe émergente.

Celle-ci était surtout composée des étudiants des classes supérieures, qui étaient de plus en plus désillusionnés par le changement lent des réformes politico-sociales. Le critique Nicolaï Dobrolioubov, le théoricien Dimitri Pissarev, l'économiste Nikolaï Tchernychevsky, les scientifiques Lavrov et Kropotkine prônent des actions directes et violentes pour renverser le régime afin de reconstruire, de façon scientifique, un monde qui assurera le bonheur des masses.[1]

Les nihilistes réussirent à assassiner le tsar Alexandre II qui voulait rendre son régime moins autocratique, ce qui fit passer le pouvoir à son fils qui avait des idées moins libérales. Le raidissement dans une société qui s'industrialisait rapidement aboutit pendant la Première Guerre mondiale à l'instauration du communisme et la lutte des classes en système. La répression qui suivit l'assassinat du tsar fut fatale au mouvement nihiliste, mais pas à ses idées.

Icône de détail Article détaillé : Serge Netchaïev.

[modifier] Le nihilisme « passif » et l'absence de sens de l'existence

Des écrivains comme Dostoïevski dans Les Possédés et Émile Zola dans Germinal montrent et éventuellement dénoncent le danger de l'extrémisme du nihilisme. Dostoïevski constate la difficulté de concilier l'idée d'un Dieu bon et tout-puissant avec l'existence du mal. Le mal, surtout, le tourmente. D'un autre côté, il constate que l'athéisme occidental ne nie plus seulement Dieu, mais aussi le sens de la création, la raison d'être du monde et de la vie. Il constate que la justice humaine est incapable de porter remède au mal moral. Elle est elle-même un mécanisme parfois inhumain. Le socialisme enlève à l'homme sa liberté pour faire son bonheur. Le socialisme athée nie la conscience. Mais Dostoïevski en vient à constater que "si Dieu n'existe pas, tout est permis." (cette constatation devient ce que certains appelleraient plus tard le "problème du bien"). C'est à cette question provocante que plus tard des individus comme Camus tenteront de répondre. Camus, par exemple, pense que le sens de l'absurde n'est pas dans les choses. "L'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde". L'absurde est maintenu comme certitude et présupposition première. Sa conséquence est le renoncement à toute attribution métaphysique d'un sens à l'existence. Toutefois, si l'individu s'oppose sans l'espoir d'un salut divin aux conditions de son existence, il peut s'identifier aux autres hommes, notamment par la souffrance. L'homme peut donc se sentir solidaire du destin des autres humains et au sein de cette fraternité maintenir tout de même une certaine exigence morale.

[modifier] Notes et références

  1. En ce sens, ils ne peuvent pas être qualifiés de nihilistes, puisqu'ils proposent de reconstruire un monde ; ils sont révolutionnaires.

[modifier] Bibliographie

  • A. Coquart, D. Pissarev et l'idéologie du nihilisme russe, Paris, 1946.
  • Manuel de Diéguez, De l'absurde. Essai sur le nihilisme. Précédé d'une lettre ouverte à Albert Camus, Paris, 1948.
  • Cioran, Précis de décomposition, NRF, Paris, 1949.
  • Wanda Bannour, Les Nihilistes russes, Anthropos, Paris, 1978.
  • Albert Camus, "Nietzsche et le nihilisme", in Les Temps Modernes, 1951 (repris dans L'homme révolté, Paris, 1951).
  • Léopold Flam, "Nietzsche et le nihilisme", in Revue de l'Université de Bruxelles, octobre 1959-février 1960.
  • Angèle Kremer-Marietti, "Que signifie le nihilisme ?", in Nietzsche, Le nihilisme européen, Paris, Union générale d'éditions, 1976.
  • Jean Granier, "Le nihilisme", in Encycopaedia universalis, volume 11, Paris, Encyclopaedia universalis France S.A., 1980, pp.816-819.
  • Albert Caraco, Bréviaire du chaos, L'Âge d'Homme, Lausanne, 1982.
  • Guillaume Faye \ Patrick Rizzi, "Pour en finir avec le nihilisme", in Nouvelle école, n°37, avril 1982, pp.12-46.
  • André Glucksmann, "La tentation du nihilisme", in La Force du vertige, Paris, Grasset&Fasquelle, 1983, pp.167-177.
  • Wanda Bannour, "Le nihilisme", in L'univers philosophique, Encyclopédie philosophique universelle, tome I, 1989.
  • André Comte-Sponville, "Le nihilisme et son contraire", in Le Magazine Littéraire, numéro 279, Juillet-Août 1990.
  • Jacques Deschamps, "Nihilisme", in Encyclopédie philosophique universelle, Les notions philosophiques, tome II, Paris, PUF, 1990.
  • Vladimir Biaggi, Le Nihilisme, textes choisis et commentés, GF Flammarion, 1998.
  • Franco Volpi, "Il Nichilismo", Laterza, Roma, 2004.
  • Michel Haar, Par-delà le nihilisme. Nouveaux essais sur Nietzsche, Paris, P.U.F., 1998.
  • Jacqueline Russ, Le Tragique créateur. Qui a peur du nihilisme ?, Paris, Armand Colin, 1998.
  • Yannick Beaubatie, Le Nihilisme et la morale de Nietzsche, Paris, Larousse, 1994.
  • Nancy Huston, Professeurs de désespoir. Essai sur le nihilisme, Actes Sud, 2004
  • Angèle Kremer-Marietti, L'Humanisme entre positivisme et nihilisme, in Philosophies de l'humanisme, L'Art du Comprendre, N°15, 2006.
  • Rossano Pecoraro, O Niilismo, Rio de Janeiro, Zahaar Ed., 2007.

[modifier] Voir aussi