Milton Friedman

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Milton Friedman
Milton Friedman
Naissance : 31 juillet 1912
New York (États-Unis États-Unis)
Décès : 16 novembre 2006
San Francisco
(États-Unis États-Unis)
Nationalité : Américaine
Champs : Économie
Institution : Université de Chicago, Hoover Institution...
Diplômé : Rutgers University, Université de Chicago, Université Columbia
Célèbre pour : École de Chicago, Monétarisme, Taux de chômage naturel.
Distinctions : Médaille John Bates Clark (1951), « prix Nobel » d'économie (1976), Médaille présidentielle de la liberté (1988)

Milton Friedman est un économiste américain né le 31 juillet 1912 à New York et décédé le 16 novembre 2006 à San Francisco, considéré comme l'un des économistes les plus influents du XXe siècle[1]. Titulaire du Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel de l'année 1976[2],[3], il a été un ardent défenseur du libéralisme. Il a travaillé sur des domaines de recherche aussi bien théorique que appliquée, il fut à l’origine du courant monétariste ainsi que le fondateur de l'École monétariste de Chicago, ainsi qu'un commentateur politique et essayiste à succès.

Deux de ses œuvres ont particulièrement touché le grand public : d'abord son livre Capitalisme et liberté (1962) et ensuite sa série d'interventions télévisées réalisées en 1980 Free to Choose. Dans Capitalisme et liberté il explique sa théorie selon laquelle la réduction du rôle de l'État dans une économie de marché est le seul moyen d'atteindre la liberté politique et économique. Plus tard, dans La liberté du choix, Friedman cherche à démontrer la supériorité du libéralisme sur les autres systèmes économiques.

Milton Friedman initia une pensée économique d'inspiration libérale dont les prescriptions s'opposent de front à celle du keynésianisme. En réponse à la fonction de consommation keynésienne, il développa la théorie du revenu permanent. Avec cette théorie et l'introduction du taux de chômage naturel, Friedman remet en cause le bien fondé des politiques de relance qui pour lui ne peuvent que provoquer de l'inflation contre laquelle il faut lutter. À cette fin, il proposa l'instauration d'un taux constant de croissance de la masse monétaire.

Ses idées se diffusèrent progressivement et devinrent populaires parmi les milieux politiques dans les années 1980, influençant profondément les mouvements conservateurs et libertariens américains. Ses idées économiques sur le monétarisme, la fiscalité, les privatisations et la dérèglementation furent dès lors mises en place par de nombreux gouvernements à travers le monde, notamment ceux de Ronald Reagan aux États-Unis, de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, d’Augusto Pinochet au Chili, ou de Brian Mulroney au Canada.

Sommaire

[modifier] Biographie

[modifier] Jeunesse et formation

Milton Friedman naît à Brooklyn (New York), le 31 juillet 1912 dans une famille d'immigrants juifs venue de l'empire austro-hongrois (dans l'actuelle Ukraine). Il est le premier enfant de Sarah Ethel Landau et de Jeno Saul Friedman[4], tous les deux petits commerçants. Alors que Friedman a un an, sa famille déménage à Rahway, dans le New Jersey, où il passe sa jeunesse[5]. Son père meurt alors qu'il a 15 ans[6]. Étudiant brillant, il finit ses études au lycée de Rahway en 1928, peu après son seizième anniversaire.

Le campus de l'université de Chicago
Le campus de l'université de Chicago

Il obtient alors une bourse pour aller étudier à l'Université Rutgers dans le New Jersey, où il obtient son diplôme de Bachelor of Arts en 1932[7]. Il se spécialise en mathématiques et se destine à la profession d'actuaire avant d'abandonner cette idée pour se tourner vers l'économie pure.

À sa sortie de Rutgers, toujours boursier, il étudie l'économie à l'Université de Chicago où il obtient un master en 1933. Il y est influencé par les idées de Jacob Viner, Frank Knight et Henry Simons[6]. C'est également à cette époque qu'il rencontre sa future épouse, Rose Director, sœur du professeur de droit Aaron Director[5].

Il étudie un an les statistiques à l'Université Columbia sous la direction d'Harold Hotelling, avant de revenir l'année suivante à Chicago : il y est assistant de recherche auprès de l'économiste Henry Schultz, qui travaille sur son ouvrage Théorie et mesure de la demande. Toujours à Columbia, il sympathise avec George Stigler, co-fondateur avec lui de l'école de Chicago.

[modifier] Travail au niveau fédéral

En 1935, ne trouvant pas d'emploi dans une université, Friedman se rend à Washington où les programmes lancés par Roosevelt offrent un débouché pour les économistes. Dans Two lucky people, ses mémoires écrites avec sa femme Rose, il écrit qu'alors il jugeait les programmes de créations d'emplois publics adaptés pour une situation critique mais pas les systèmes de fixation des prix et des salaires[8]. Quelques années plus tard il rédige un article avec George Stigler intitulé Roofs or Ceilings et dans lequel Stigler et Friedman attaquaient avec vigueur le contrôle des loyers[9]. En cela, on peut voir les prémices de ses futures idées sur les contrôles des prix qui fausse la fixation des prix par le mécanisme de la rencontre entre l'offre et la demande.

Il adopta par la suite une posture plus critique envers les mesures du New Deal, considérant que la Grande Dépression venait principalement d'une mauvaise gestion de la monnaie, dont l'offre aurait dû être augmentée et non réduite[10]. Dans son Histoire monétaire des États-Unis parue en 1963, il développe cette thèse en expliquant cette grave crise économique par les politiques de contraction monétaire menées[11].

En 1935, il rejoint le National Resources Committee qui travaille alors sur une large étude de la consommation. Il tirera de ce travail une partie des idées qu'il développa dans sa Théorie de la fonction de consommation. Deux ans plus tard, Milton Friedman rejoint le National Bureau of Economic Research où il assiste Simon Kuznets dans ses travaux. Il étudie plus particulièrement la répartition des revenus et dans un article alors controversé, il explique les hauts salaires des médecins par les barrières à l'entrée maintenues par le syndicat national des médecins[5]. C'était le sujet de sa thèse et il reprendra ce sujet dans plusieurs écrits[12].

En 1940, il est nommé professeur assistant à l'Université du Wisconsin-Madison, qu'il quitte après avoir rencontré des problèmes d'antisémitisme au sein du département d'économie[13].

De 1941 à 1943 il travaille comme conseiller auprès du Département du Trésor des États-Unis sur la question des taxes pour financer l'effort de guerre. Porte-parole du Trésor, il défend alors une politique keynésienne. Dans son autobiographie, il constate « à quel point [il] était alors keynésien »[14].

[modifier] Carrière académique

[modifier] Débuts

En 1943, il rejoint l'Université Columbia où il travailla pendant le reste de la guerre comme statisticien. En 1945, il rend à Columbia sa thèse de doctorat, un travail effectué avec Kuznets intitulé Incomes from Independent Professional Practice. Il obtient finalement son doctorat pour cette thèse l'année suivante, année où Keynes s'éteint.

L'année précédente, il avait eu avec sa femme Rose leur second enfant, David Friedman. Il suivra lui aussi des études scientifiques avant de devenir économiste, membre du courant anarcho-capitaliste. Milton Friedman passe les années 1945 et 1946 à enseigner à l'Université du Minnesota, aux côtés de George Stigler.

[modifier] Université de Chicago : de 1946 à 1955

En 1946, Friedman accepte un poste de professeur d'économie à l'université de Chicago, poste libéré à la suite du départ de Jacob Viner pour l'Université Princeton. Friedman y restera finalement trente ans et y développa une école économique : l'École monétariste de Chicago, avec des auteurs plusieurs fois récompensés de la plus haute distinction économique : George Stigler (« Nobel » 1982), Ronald Coase (« Nobel » 1991), Gary Becker (« Nobel » 1992), Robert E. Lucas (« Nobel » 1995).

A la même époque, il rejoint à nouveau le National Bureau of Economic Research, à l'invitation d'Arthur Burns ; il y restera jusqu'en 1981. Il y étudie le rôle de la monnaie dans les cycles économiques et y fonde en 1951 le Workshop in Money and Banking (Atelier sur la monnaie et la banque) qui participe à la renaissance de l'étude des phénomènes monétaires. Il commence également une collaboration avec Anna Schwartz, spécialiste d'histoire économique, qui débouche sur la publication en 1963 d'une Histoire monétaire des États-Unis, 1867-1960 dans laquelle s'expriment les prémices de la pensée monétariste.

Il passe une partie des années 1950 à Paris, où il assiste les administrateurs américains du Plan Marshall. Il se penche à cette occasion sur l'étude des taux de changes flottants, sur la base de laquelle il publiera un ouvrage The Case for Flexible Exchange Rates (les arguments en faveur des taux de change flottants).

Friedman passa l'année académique 1954-1955 comme professeur invité au Gonville and Caius College de Cambridge.

[modifier] Université de Chicago : de 1956 à 1975

À la suite de la publication de son ouvrage Studies in the quantity theory of money (Etudes sur la théorie quantitative de la monnaie) en 1956, les idées monétaristes acquièrent plus d'importance dans le débat économique, mais restent minoritaires. En 1959, le comité Radcliffe, créé par le gouvernement britannique pour proposer des évolutions du système monétaire international, développe des idées radicalement opposées.[6]

Il devient connu du grand public avec son ouvrage publié en 1962, Capitalisme et liberté, dans lequel il se livre à une défense du capitalisme, à une critique du New Deal et de l'État-providence qui émergeait. Bien qu'aucun des grands journaux américains n'en publient de critiques, le livre se diffuse progressivement et il s'en vendra plus de 400 000 exemplaires en dix-huit ans[15]. Cela consacre l'engagement de Friedman comme intellectuel dans le débat public ; il devient par la suite conseiller économique du candidat républicain malheureux à la présidence en 1964, Barry Goldwater, très marqué par ses positions conservatrices.

Deux ans plus tard, il écrit pour la première fois une chronique économique dans le magazine Newsweek, prenant la suite d'Henry Hazlitt. Une semaine sur deux il écrivait dans le journal, en alternance avec Paul Samuelson. Par ces articles, il touchera largement la population américaine, jusqu'en 1983 où il y met fin. Sa célébrité croît et il devient en 1967 président de l'American Economic Association, association regroupant les économistes américains[16].

Richard Nixon, président américain dont Milton Friedman fut conseiller
Richard Nixon, président américain dont Milton Friedman fut conseiller

À la fin des années 1960 il devient conseiller du président Richard Nixon, qui ne suivra cependant que très partiellement ses conseils au cours de sa présidence. Il impose ainsi un contrôle des prix et des salaires avec des résultats désastreux[17]. En 1969 il est nommé dans la commission chargée de réfléchir sur l'avenir du service militaire, dans laquelle il prend fortement parti pour un service fondé uniquement sur le volontariat, résultat qui sera obtenu en 1973. Il considérait ce résultat comme le plus satisfaisant dans son engagement intellectuel[16].

À partir de 1956, il donne des cours à l'Université de Chicago à des étudiants en économie de l'Université pontificale catholique du Chili dans le cadre d'un accord signé entre les deux universités. Il exerce par là une influence importante sur ceux que l'on allait appeler les Chicago Boys. En 1975, il se rend à Santiago, au Chili, pour prononcer une conférence à l'université pontificale. Il rencontre à cette occasion Augusto Pinochet, ce qui lui sera reproché par la suite (cf. infra)[16].

Dans le contexte de la stagflation anglaise à partir de 1968 et américaine dans les années 1970, ses idées monétaristes s'imposent alors que le keynésianisme dominant jusqu'alors perd sa domination.

Pendant cette période, il dirige les thèses de doctorat de Gary Becker ou de Thomas Sowell[18]

[modifier] « Prix Nobel » et retraite

En 1976, Friedman reçut le « Prix Nobel » d'économie récompensant ses travaux sur « l'analyse de la consommation, l'histoire monétaire et la démonstration de la complexité des politiques de stabilisation »[3]. Lors de la remise du prix, il est accueilli par des manifestants qui lui reprochent sa visite au Chili[19]. L'année suivante, âgé de 65 ans, il prend sa retraite de l'université de Chicago dans laquelle il avait enseigné trente ans. Il déménage alors avec sa femme à San Francisco et rejoint la Hoover Institution à l'Université Stanford.

En 1977, à l'invitation du Palmer R. Chitester Fund, il commence à travailler sur le projet d'émission télévisée en dix parties pour présenter sa philosophie. Des trois ans de travail que cela nécessitera sortira Free to choose, d'abord comme émission puis comme livre, à chaque fois réalisé ou écrit avec sa femme Rose. L'ouvrage sera la meilleure vente de l'année 1980 en Non fiction avec 400 000 exemplaires vendus et il a été traduit en douze langues[20].

Dans les années 1980, il est conseiller officieux du candidat républicain Ronald Reagan puis rejoint son comité économique quand ce dernier est élu à la Maison Blanche. Il y restera jusqu'en 1988. Pendant les années 1980-1990, il continua à faire de nombreuses apparitions dans les médias ou des voyages en Europe de l'Est et en Chine pour promouvoir sa pensée.

En 1996, il installa avec sa femme leur fondation en faveur de la liberté de choix pour l'éducation.

Milton Friedman est mort d'une crise cardiaque le 16 novembre 2006, à l'âge de 94 ans.

[modifier] Travaux

[modifier] Économie

[modifier] La théorie quantitative de la monnaie et l'action de l'inflation

Friedman est principalement connu pour ses travaux concernant la monnaie : la théorie quantitative de la monnaie, qui explique les mouvements des prix par la variation de la masse monétaire et le monétarisme. La théorie quantitative de la monnaie n'est pas une création ex nihilo de Friedman ; elle tire ses racines des travaux de l'École de Salamanque, de Jean Bodin, de William Petty puis d'Irving Fisher, mais c'est Friedman qui est responsable de sa reformulation moderne. Il la développa en particulier dès 1956 dans un article intitulé The quantity theory, a restatement. Elle s'exprime en particulier par l'équation \mathbf{M * V = P * Q}.

Cette équation de base de la théorie quantitativiste pose l'équivalence entre ; la production d'une économie pendant une période donnée (Q) corrigée par l'évolution des prix (P) ; et la quantité de d'argent qui a été échangée dans l'économie au cours de la période représentée par la quantité de monnaie en circulation (M) factorisée par sa vitesse de circulation (V).

Milton Friedman apporta une vérification empirique de ces résultats en 1963 dans son Histoire monétaire des États-Unis (avec Anna Schwartz) ou dans The Counter-Revolution in Monetary Theory en 1970. Il observa ainsi dans le premier que, au cours des 18 cycles économiques étudiés, les creux ou les pics de l'activité économique furent précédés de creux ou de pics de la masse monétaire[21]. Il était particulièrement critique vis-à-vis de la politique menée lors de la Grande Dépression des années 1930, au sujet de laquelle il écrivit[22] :

« La Fed est largement responsable de [l'ampleur de la crise de 1929]. Au lieu d'user de son pouvoir pour compenser la crise, elle réduisit d'un tiers la masse monétaire entre 1929 et 1933… Loin d'être un échec du système de libre entreprise, la crise a été un échec tragique de l'État. »
    — Milton Friedman, Two lucky people : Memoirs

L'actuel gouverneur de la Fed, Ben Bernanke, arriva aux mêmes conclusions et les approfondit en 2000 dans Essays on the Great Depression (Essais sur la Grande Dépression). Il ajouta dans un discours en 2002, à propos de Milton Friedman : « Vous avez raison [..]. Nous sommes désolés. Mais grâce à vous nous ne referons pas cette erreur ».[23]

De ses travaux sur l'équation de la théorie quantitative de la monnaie, Milton Friedman tira l'idée selon laquelle l'inflation est d'origine monétaire. Il déclara à propos du lien entre inflation et monnaie :

« L’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la production. »
    — Milton Friedman, The Counter-Revolution in Monetary Theory

Façade de la Fed, aux États-Unis.
Façade de la Fed, aux États-Unis.

En conséquence, il défendit une politique monétaire basée sur l'offre de monnaie : il fut le principal avocat du monétarisme, une école de pensée économique qui, sur la base de la théorie quantitative de la monnaie, considère que l'inflation doit être contrôlée par le volume des émissions de monnaie de la banque centrale. Cette approche monétariste de la conjoncture met l'accent sur l'ajustement monétaire global à partir de données agrégées d'activité et de prix, dont elle cherche à tirer une estimation de la demande de monnaie. Il défendait donc une réduction du rôle du gouvernement dans le domaine économique et l'indépendance des banquiers centraux. Milton Friedman affirme également que les interventions discrétionnaires d'une banque centrale ne peuvent qu'ajouter à l'incertitude sur la demande ; il a donc (tout en admettant qu'on pourrait fermer les banques centrales) prôné une politique monétaire dont tous les acteurs économiques pourraient raisonnablement prévoir les effets, par exemple la hausse régulière d'un indicateur de masse monétaire jugé représentatif. Pour résumer sa pensée envers les banques centrales, il déclara[16]:

« La monnaie est une chose trop importante pour la laisser aux banquiers centraux »
    — Milton Friedman

[modifier] Une nouvelle conception du rôle de l'État dans l'économie

Il défendit également le retrait du gouvernement du marché des changes et promut les taux de change flottants. Il écrivit en particulier en 1953 un article, The Case for Flexible Exchange Rates, qui théorisait des idées qu'il exprimait depuis plusieurs années[24]. Il y justifie le recours aux changes flottants par l'ajustement que ce système permet entre les devises des pays inflationnistes et des pays non inflationnistes.

Ses théories concernant les anticipations adaptatives furent cependant assez rapidement dépassées par la théorie des anticipations rationnelles, développée par un autre économiste de Chicago, Robert E. Lucas. Les économistes de la Nouvelle économie classique se sont opposés à Friedman en défendant des hypothèses comportementales sensiblement différentes : Friedman et les monétaristes classiques supposaient des anticipations adaptatives, c’est-à-dire que les agents agissent en s'adaptant à la situation présente mais peuvent être trompés temporairement par une politique économique, laquelle sera alors efficace à court terme mais néfaste à long terme quand les agents se rendront compte de leurs erreurs. Pour les nouveaux classiques, les anticipations sont rationnelles. Les agents raisonnent en termes réels et ne peuvent être leurrés par une politique monétaire expansionniste, qui sera donc inefficace à court terme comme à long terme.

Friedman a aussi mené des travaux sur la fonction de consommation, qu'il considérait comme ses meilleurs travaux scientifiques[25]. Alors que le keynésianisme dominait, il remit en cause la forme adoptée pour la fonction de consommation et en souligna les imperfections. À la place, il formula en particulier l'hypothèse de revenu permanent, qui postule que les choix de consommation sont guidés non par les revenus actuels mais par les anticipations que les consommateurs ont de leurs revenus. Ces anticipations étant plus stables, elles ont tendance à lisser la consommation, même quand le revenu disponible baisse ou augmente. Ces travaux furent particulièrement remarqués car ils remettaient en cause la validité des politiques conjoncturelles de relance de la demande et le multiplicateur d'investissement keynésien[26].

Il a également contribué à la remise en cause de la Courbe de Phillips et mit au point avec Edmund Phelps le concept de taux de chômage naturel. Ces travaux furent publiés en 1968 dans Inflation et systèmes monétaires. Ils s'opposent au taux de chômage sans accélération de l'inflation des keynésiens. Il considère en essence qu'il existe un taux de chômage naturel, lié aux imperfections du marché du travail dont l'intervention étatique qui bouleverse la libre fixation des salaires. Étant de nature structurelle, ce taux de chômage ne peut être réduit par des politiques conjoncturelles et l'injection de liquidités débouche fatalement sur l'inflation selon Friedman[26].

Dans son ouvrage Essays in Positive Economics (Essais d'économie positive), il a présenté le cadre épistémologique de ses futures recherches et, plus globalement, de l'école de Chicago : l'économie comme science doit être détachée des questions sur ce qui devrait être et se concentrer sur ce qui est, indépendamment de jugements moraux. Il préconise donc l'économie positive à la place de l'économie normative. De même, une politique économique doit être jugée non sur ses intentions mais sur ses résultats. Il déclara ainsi en 1975[27] :

« L'une des plus grandes erreurs possibles est de juger une politique ou des programmes sur leurs intentions et non sur leurs résultats »
    — Milton Friedman, Entretien avec Richard Heffner

Il a également développé dans ses Essays un problème inhérent à toute politique conjoncturelle : l'action gouvernementale arrive toujours trop tard selon Friedman, en raison du temps nécessaire pour prendre la mesure de la situation et du temps nécessaire pour que les mesures aient des effets. L'action gouvernementale serait donc in fine nefaste, relançant l'économie alors qu'elle est déjà sortie de la crise et de ce fait favorisant la surchauffe ou, dans le cas inverse, précépitant l'économie dans la crise. Ces travaux remettaient donc en cause le bien-fondé des politiques de relance keynésiennes.

[modifier] Friedman et le keynésianisme

De façon générale, les conclusions des travaux économiques de Friedman sont opposées à celles de Keynes (Cf. supra), qui dominaient après la Seconde Guerre mondiale. Milton Friedman a souvent été ainsi défini comme l'« anti-Keynes ».[28] Ses travaux reprennent cependant les outils d'analyse mis en place par le keynésianisme.

En 1996, le journal Le Monde avait repris une citation tronquée de Friedman qui déclarait « nous sommes tous keynésiens aujourd'hui ». La citation intégrale était cependant d'un sens différent et Friedman déclarait en fait : « En un sens, nous sommes tous keynésiens aujourd'hui ; en un autre sens, plus personne n'est keynésien. ». Dans un rectificatif publié par le journal le 26 mai 1996, il précisa sa pensée : « Nous utilisons tous le langage et l'appareil d'analyse keynésiens, mais plus personne n'accepte les conclusions keynésiennes originelles. »

Néanmoins, certaines réformes qu'il a pu proposer comme le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu et l'impôt négatif ont été parfois critiquées au sein du mouvement libéral ou libertarien. Certains représentants de l'école autrichienne d'économie comme Roger Garrison posèrent la question de savoir si Milton Friedman n'était pas à certains égards keynésien[29]. Murray Rothbard, anarcho-capitaliste, lui reprocha avec force son soutien au système de réserves fractionnaires comme système de création monétaire auquel il lui-même s’opposait[30].

[modifier] Statistiques

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Milton Friedman travailla sur des sujets de statistiques, travaux qui, selon The New Palgrave, font encore référence aujourd'hui. En particulier, il travailla sur les arrangements et les problèmes de rang en théorie des ensembles. Il posa également les prémices de l'échantillonage séquentiel (Test de Friedman) et développa enfin les méthodes non paramétriques pour l'analyse de la variance[6].

[modifier] Promoteur du libéralisme

Milton Friedman est considéré par beaucoup comme un grand défenseur du libéralisme; il se définissait comme « un Républicain avec un grand R et un libertarien avec un petit l ». Il s'engagea fortement dans le débat public en organisant en particulier des nombreuses conférences ou en participant à des émissions télévisées au cours desquelles il présenta ses convictions en faveur d'une économie libre et du capitalisme. Dans un entretien télévisé en 1979, il déclara par exemple :

« L'histoire est sans appel : il n'y a à ce jour aucun moyen [..] pour améliorer la situation de l'homme de la rue qui arrive à la cheville des activités productives libérées par un système de libre entreprise »
    — Milton Friedman, Entretien avec Phil Donahue

Il place le début de son engagement dans le débat public en faveur du libéralisme en 1947, lorsqu'il participe en avril à la réunion fondatrice de la Société du Mont Pèlerin, réunie à l'initiative de Friedrich Hayek[5]. Friedman fut de 1970 à 1972 le président de cette association internationale des intellectuels libéraux.

Son ouvrage le plus important fut probablement Capitalisme et liberté, édité en 1962 aux États-Unis. C'est principalement le résultat de conférences données en juin 1956 au Wabash College à l'invitation du William Volker Fund, disparu depuis[31]. Il fut traduit dans 18 langues. S'adressant à un vaste public et non aux seuls économistes, il y défend le capitalisme comme unique moyen de construire une société libre. Il se place sur le terrain de la justification philosophique mais également pratique d'une économie libérale. Le livre est considéré par la National Review comme le dixième ouvrage de Non fiction le plus important du XXe siècle[32].

Cet ouvrage fut suivi d'un autre ouvrage majeur, Free to choose, traduit en français par La liberté du choix et écrit avec sa femme Rose en 1980. Ce livre exercera une grande influence (cf. infra), comme la série éponyme de dix émissions télévisées qui furent diffusés à partir de janvier 1980 sur la chaîne PBS et sur lesquelles était basé le livre. Ces émissions développaient les idées de Milton Friedman sur un certain nombre de sujets et les popularisèrent auprès du grand public. Cinq émissions remaniées suivirent en 1990[33].

En 1996, il établit avec Rose la Fondation Milton & Rose Friedman pour défendre le libre choix de l'éducation pour les parents (Schooling choice)[34]. En particulier, la fondation promeut l'utilisation du chèque éducation. Ce système reste cependant très marginal à l'heure actuelle.

À travers cet engagement dans le débat public, il joua une part importante dans la réactivation des idées libérales, dans un contexte où les économies keynésiennes triomphaient. Ce rôle lui fut reconnu tant par ses partisans[35] que par ses adversaires[36] :

« Dans une période où le marxisme et l'interventionnisme étatique dominaient les esprits, Friedman a joué, à contre-courant, un rôle absolument irremplaçable »
    — Pascal Salin, ancien président de la Société du Mont Pèlerin

« Avec Friedrich Hayek, Milton Friedman est sans doute le penseur qui aura le plus inspiré la révolution néolibérale.[...] Outre son influence intellectuelle, Milton Friedman fut un combattant. »
    — Serge Halimi, journaliste au Monde Diplomatique

[modifier] Influence

[modifier] États-Unis

Icône de détail Articles détaillés : Paul Volcker et Ronald Reagan.
Ronald Reagan expliquant ses baisses d'impôts dans une intervention télévisée en juillet 1981
Ronald Reagan expliquant ses baisses d'impôts dans une intervention télévisée en juillet 1981
Paul Volcker, gouverneur de la Fed de 1979 à 1987
Paul Volcker, gouverneur de la Fed de 1979 à 1987

Dans un contexte général de révolution conservatrice Milton Friedman prit part au renouveau du mouvement républicain et des idées libérales. Il soutient très tôt la « Proposition 13 » d'initiative populaire votée en Californie en 1978 et qui vise à limiter les impôts[37]. Il conseilla Ronald Reagan dans sa campagne présidentielle et au cours de ses deux mandats. En partie à cause de cette influence, la politique économique que Reagan mit en place fut proche des idées défendues par Friedman. Les « Reaganomics » telles que les définit William A. Niskanen reposaient ainsi sur une réduction du poids du gouvernement, une baisse des taux marginaux d'imposition, la dérèglementation de l'économie et une politique monétariste pour réduire l'inflation[38]. Cependant son influence est concurrencée par les partisans de l'économie de l'offre. Les importantes baisses d'impôts orchestrées par Ronald Reagan, l'Economic Recovery Tax Act de 1981 en particulier, doivent à son influence mais aussi à celle de Robert Mundell et Arthur Laffer.

Son influence se ressent fortement dans le domaine monétaire : quand il arrive à la tête de la Réserve fédérale des États-Unis le 6 août 1979, Paul Volcker est confronté à la stagflation américaine, mélange de stagnation et d'inflation élevée : l'indice des prix augmente de 11,3 % cette année et de 13,5 % l'année suivante. Malgré les oppositions nombreuses dont celle des agriculteurs[39], il mène avec succès une politique monétariste de modération de l'évolution de la masse monétaire, qui débouche sur une réduction de l'inflation : 6,2 % en 1982 puis 3,2 % en 1983[40]. Les coûts d’un retour durable vers la croissance sont élevés à court terme et les États-Unis entrent en récession en 1982.

Plus récemment, Arnold Schwarzenegger se réclamait lui aussi de la pensée de Friedman et déclarait : « Les deux personnes qui ont le plus influencé ma pensée économique sont Milton Friedman et Adam Smith »[41].

[modifier] Royaume-Uni

Arrivée au pouvoir en 1979, Margaret Thatcher est confrontée à un contexte d'inflation élevée : de 1974 à 1981, l'inflation excéda chaque année 10 % à l'exception de l'année 1978. Fortement influencée par les idées de Friedrich Hayek, Margaret Thatcher s'attaque à l'inflation en menant une politique monétariste. Elle fait ainsi monter les taux d'intérêts de 12 à 17 %[42], entrainant une forte baisse de l'inflation qui revient à des niveaux inférieurs à 10 %. Les taux d'inflation remontèrent à la fin des années 1980, en bonne part sous l'influence des variations du marché immobilier[43]. La pensée de Friedman ne fut qu'une des inspirations de cette politique monétaire thatcherienne et, si elle mentionne l'avoir lu dans ses Mémoires[44], elle accorde aux idées de Friedrich Hayek une part bien plus importante dans l'évolution de sa pensée. Cependant il influença davantage certains de ses conseillers directs comme Keith Joseph, l'éminence grise du thatchérisme qui poussa les idées monétaristes auprès de la Dame de fer. Friedman l'estimait et écrivit ainsi dans The Observer le 29 septembre 1982 : « Les gens ne réalisent pas que Margaret Thatcher n'est pas une conservatrice mais une authentique libérale ». Friedman et Thatcher se rencontrèrent très peu mais Margaret Thatcher rendit hommage à Friedman à sa mort et salua en lui « un combattant de la liberté »[45].

[modifier] Chili et Amérique latine

Logo de l'université pontificale du Chili. Friedman et Arnold Harberger exercèrent une influence profonde sur son enseignement
Logo de l'université pontificale du Chili. Friedman et Arnold Harberger exercèrent une influence profonde sur son enseignement

Milton Friedman exerça une influence importante sur les économistes chiliens surnommés les « Chicago Boys » comme José Piñera ou Hernán Büchi : formés à l'Université pontificale catholique du Chili dans le cadre d'un partenariat signé en 1956 avec l'Université de Chicago, nombre d'entre eux obtinrent leur doctorat en économie à Chicago. Milton Friedman et Arnold Harberger eurent une influence intellectuelle déterminante et la politique économique du « miracle chilien » qu'ils mirent en place lors du régime militaire d'Augusto Pinochet s'inspira des idées de Friedman : retraite par capitalisation, chèque éducation, privatisations, etc[46]. Friedman se rendit au Chili en 1975 à l'invitation d'une fondation privée ; il donna une conférence au cours de laquelle il déclara que « le marché libre allait détruire la centralisation et le contrôle politique »[47] et à la suite de laquelle il rencontra Augusto Pinochet[48]. Critiqué régulièrement pour cette visite, il y répondait en arguant du fait que la liberté économique avait permis le rétablissement de la liberté politique en 1988[49], reprenant les idées qu'il avait énoncées quinze ans plus tôt dans Capitalisme et liberté :

« L'histoire suggère uniquement que le capitalisme est une condition nécessaire à la liberté politique. Clairement ce n'est pas une condition suffisante. »
    — Milton Friedman, 1962, Capitalisme et liberté

Dans le documentaire The commanding heights, diffusé en 2000 sur PBS, il nota par ailleurs que ces critiques étaient déplacées selon lui, puisque l'exemple chilien montrait justement que l'économie de marché débouchait sur la démocratie[50]. Il insista également sur le fait qu'il avait donné des conférences similaires en République populaire de Chine et dans d'autres États socialistes[51].

L'expérience économique chilienne est largement perçue comme un grand succès au point qu'on parle parfois de miracle chilien ; elle a influencé les pays voisins. Pour l’Encyclopaedia Britannica[52], « la dictature de Pinochet », « après avoir imposé des réajustements difficiles et commis sa part d'erreur, [...] avait lancé le pays sur un cours régulier de croissance économique qui en fit un modèle admiré en Amérique latine, qui continua même après que la dictature eut confié le pouvoir (mais pas le contrôle des forces armées) à un chrétien-démocrate élu en 1990. Le modèle chilien était basé en tout état de cause, sur l'application de politiques néolibérales [...] qui à un degré ou à un autre furent ultimement adoptées par tous les pays, y compris (dans certaines limites) par la dictature communiste survivante de Cuba. »

[modifier] Islande

David Oddson, premier ministre islandais (1991-2004)
David Oddson, premier ministre islandais (1991-2004)

Friedman se rendit en Islande à l'automne 1984 et donna une conférence à l'Université d'Islande à la suite de laquelle il rencontra des intellectuels socialistes dont le futur Président Olafur Ragnar Grimsson au cours d'un débat télévisé[53]. Au cours de ce débat il lui fut reproché le fait que sa conférence soit payante, ce à quoi il répondit qu'il y avait des coûts pour toute conférence et qu'il préférait que ceux qui les payent soient ceux qui en profitent directement plutôt que l'ensemble de la population. L'idée reprend celle développée dans le titre d'un de ses ouvrages publié en 1975 : « There's no such thing as a free lunch », c'est à dire « il n'y a pas de repas gratuit », les coûts sont toujours payés par quelqu'un.

Friedman eut une grande influence sur un groupe d'intellectuels du Parti de l'indépendance, en particulier Davíð Oddsson qui devint Premier ministre en 1991 et mit en place un programme radical reprenant nombre d'idées de Milton Fridman : stabilisation fiscale et monétaire, privatisations importantes, forte réduction de la pression fiscale (l'imposition sur les bénéfices des entreprises passa de 45 % à 18 %), libéralisation des marchés de capitaux et de devises. Il resta au pouvoir pendant treize ans, jusqu'en 2004. Geir Haarde, qui l'a remplacé comme premier ministre, mène des politiques situées dans la continuité de son prédécesseur[54]. Entre 1975 et 2004, l'Islande est passée du 53e rang au 9e rang au classement des économies les plus libres selon l'Economic Freedom Index de l'Institut Fraser. Selon l'indice de l'Heritage Foundation, l'Islande est désormais la 5e économie la plus libre au monde.

[modifier] Estonie

Icône de détail Article détaillé : Mart Laar.

Bien que Friedman ne se soit jamais rendu en Estonie, il a exercé par son ouvrage Free to choose une influence importante sur celui qui allait devenir à deux reprises le Premier ministre du pays, Mart Laar. Ce dernier affirme que c'est le seul ouvrage d'économie qu'il ait lu avant de prendre ses fonctions et lui attribue la paternité des réformes qui ont fait de l'Estonie un des « tigres baltiques ». Laar mit en place en particulier la flat tax, fit des privatisations importantes et lutta contre la corruption.

Pour les réformes libérales qu'il mit en place, Laar reçut en 2006 le prix Milton Friedman pour l'avancement des libertés, décerné par le Cato Institute[55]. A la suite des réformes de Laar, l'Estonie était 12e au classement de l'Heritage Foundation distinguant les économies les plus libres du monde en 2007[56].

[modifier] Reconnaissance internationale

La Presidential Medal of Freedom
La Presidential Medal of Freedom

Milton Friedman a reçu de nombreux prix récompensant son travail : en 1951, la Médaille John Bates Clark, un prix qui récompense tout les deux ans un économiste américain de moins de quarante ans « qui a apporté une contribution significative à la pensée et à la connaissance économique ». Elle fut suivie en 1976 du « prix Nobel » d'économie pour ses travaux sur « l'analyse de la consommation, l'histoire monétaire et la démonstration de la complexité des politiques de stabilisation »[3]. En 1988, il reçut la Presidential Medal of Freedom et la même année la National Medal of Science.

Selon l'hebdomadaire britannique The Economist, Friedman « fut l'économiste le plus influent de la seconde moitié du XXe siècle et peut être de tout le XXe siècle »[57]. Le directeur de la Fed, Alan Greenspan, affirma pour sa part qu'« il y a très peu de personnes dont les idées sont suffisamment originales pour changer la direction d'une civilisation. Milton Friedman était l'un d'eux »[58].

Le Cato Institute a donné avec son accord son nom à un prix en 2001 ; il est décerné tous les deux ans à une personnalité qui a fait avancer les libertés dans le monde et a récompensé l'économiste britannique Peter Thomas Bauer en 2002, l'économiste péruvien Hernando de Soto en 2004 et l'ancien premier ministre estonien Mart Laar en 2006.

Selon Harry Girvetz et Kenneth Minogue, rédacteurs de l'article libéralisme de l'Encyclopædia Britannica, Friedman fut avec Friedrich Hayek l'un des acteurs qui permit la renaissance du libéralisme classique au XXe siècle[5]

Le 29 janvier 2007 a été déclaré Milton Friedman Day par Arnold Schwarzenegger, gouverneur de Californie pour honorer sa vie, ses travaux et réalisations comme son influence sur l'économie contemporaine et les politiques publiques[59],[60].

Il a reçu de nombreux titres de docteur honoris causa, par l'Université Rutgers en 1968, l'Université hébraïque de Jérusalem en 1977, l'Université Francisco-Marroquin en 1978, l'Université Harvard en 1979 ou encore l'École supérieure d'économie de Prague en 1997[61].

[modifier] Évolutions de la pensée économique après Friedman et critiques

Milton Friedman fait figure de père fondateur de l'Ecole de Chicago, et des politiques monétaires contemporaines. La théorie économique a évolué depuis Friedman, et les économistes de Chicago ont abandonné certains points de ses théories ; sa pensée économique fait l'objet par ailleurs de vives critiques de la part des économistes néo-keynésiens[62] et post-keynésiens[63].

[modifier] Friedman « prolongé » par les nouveaux classiques

La théorie monétariste a été radicalisée et, in fine, reformulée par la génération qui a suivi Friedman à Chicago, que l'on regroupe sous le terme de nouveaux classiques. Ceux-ci ont remis en cause la théorie des anticipations adaptatives de Friedman : pour celui-ci, les agents pouvaient être victimes à court terme d'une illusion monétaire, ne mesurant pas immédiatement les effets supposés inflationnistes des politiques économiques expansives ; ces politiques pouvaient donc être efficaces à court terme. Pour les néo-classiques, qui défendent l'idée que les agents ont des anticipations rationnelles, la monnaie n'est plus qu'un pur voile. Les agents savent immédiatement que toute politique de relance est inflationiste, puisqu'ils sont rationnels, c'est-à-dire sont parfaitement informés et agissent en fonction des réalités économiques. Il n'y a donc pas d'illusion monétaire, même à court terme.

[modifier] Critiques du monétarisme par les courants keynésiens

Ses idées ont par ailleurs fait de lui l'objet d'une intense critique de la part des économistes néo-keynésiens : Paul Krugman a ainsi été critique envers les idées de Friedman, en particulier sur le monétarisme qui n'aurait pas eu selon lui les résultats escomptés, tandis que les banquiers centraux ont agit bien mieux que ne l'anticipait Friedman[64]. L’effet positif de l’indépendance des banquiers centraux, que prônait Friedman, est universellement reconnu, mais Friedman s’est montré trop pessimiste en pensant que même indépendants les banquiers centraux n’agiraient pas de manière optimale. Les performances de la Fed s’améliorèrent, après que Paul Volcker fut nommé gouverneur de la Fed en 1979 et appliqua les preceptes monétaristes, et Friedman fut moins critique des banquiers centraux[65]. Krugman qualifia l’engagement de Friedman en faveur du capitalisme libéral d'« absolutisme du laissez faire. »[66]

Les « Prix Nobel » d'économie James Tobin ou Franco Modigliani considèrent qu'« il n’y a pas en réalité de divergences analytiques sérieuses entre les principaux monétaristes et les principaux non monétaristes [...]. En réalité, le trait distinctif de l'école monétariste et le véritable sujet de désaccord avec les non-monétaristes n'est pas le monétarisme, mais plutôt le rôle qu'on devrait probablement assigner aux politiques de stabilisation. »[67]. L'économiste américain néo-keynésien Don Patinkin considère pour sa part que Friedman n'a fait que reformuler avec plus de sophistication la théorie monétaire de Keynes[21].

[modifier] Critiques de la théorie quantitative et contrôle de la masse monétaire

La théorie quantitative de la monnaie reformulée par Milton Friedman a suscité les critiques des partisans de la théorie de la monnaie endogène, en particulier les auteurs post-keynésiens. Selon eux, la monnaie ne doit pas être pensée comme une variable exogène et dont la quantité est contrôlée par une institution extérieure, mais comme la résultante de la demande de crédit du système économique.

Selon les économistes post-keynésiens, l'application des principes monétaristes devait donc nécessairement buter sur la question du ciblage des agrégats monétaires. En effet, quelle que soit la définition de la masse monétaire retenue par les autorités centrales, les agents tenteront de lui substituer des actifs plus ou moins liquides pour contourner le resserrement du crédit. Ainsi selon Nicholas Kaldor, « il n'y a pas de démarcation claire au sein de l'ensemble de la liquidité entre ce qui est de la monnaie et ce qui ne l'est pas. Quelle que soit la définition que l'on choisisse pour la monnaie, elle sera entourée par une myriade d'instruments plus ou moins liquides qui peuvent lui servir de substituts. »[68]

Par ailleurs, la pertinence même de la fixation d'objectifs de contrôle de la masse monétaire aurait selon eux été remise en cause par la mise en œuvre des politiques monétaristes elles-mêmes. La simple annonce par les banques centrales d'un objectif pour un indicateur de masse monétaire entraînerait la réaction des acteurs économiques, qui modifiaient leur comportement pour échapper à la contrainte monétaire, ce qui aurait pour conséquence d'enlever toute valeur à l'indicateur de masse monétaire, selon ce que ces économistes ont appelé la loi de Goodhart[69]. Ainsi, aujourd'hui, les banques centrales ne chercheraient pas à modifier la masse monétaire pour agir sur l'inflation : elles s'efforceraient selon les post-keynésiens d'influencer directement l'activité réelle en pilotant le taux d'intérêt, ce qui n'était pas la technique prévue initialement par Friedman, qui préférait l'action directe sur la masse monétaire. Les banques centrales ne metteraient donc plus en œuvre, à proprement parler, des politiques monétaristes, fondées sur la gestion directe de la masse monétaire.

[modifier] Analyse des résultats des politiques monétaristes

Les politiques monétaristes mises en œuvre à la fin des années 1970 permirent une réduction importante et une maîtrise de l'inflation, après les envolées inflationnistes des deux chocs pétroliers et l’inefficacité des politiques traditionnelles de « stop-and-go ». Le contrôle rapide de l'inflation est considéré comme un grand succès du monétarisme, et il serait à l’origine de la croissance stable et élevée des décennies 1980 et 1990 aux États-Unis. La conséquence de la stabilisation de l’inflation fut à court terme un ralentissement économique, avec un accroissement temporaire du taux de chômage qui monta à 10 % en 1982 contre 6 % en 1978 aux États-Unis, avant de redescendre à partir de 1982[70].

Pour Friedman, le rôle des autorités monétaire était de suivre une règle d'accroissement de la masse monétaire stricte, parallèle au taux de croissance de l'économie : cela devait permettre de donner à l'économie les liquidités nécessaires aux transactions, sans provoquer ni d'inflation (trop grande création monétaire), ni de récession (trop faible création monétaire). Cette politique a été mise en œuvre par la banque centrale américaine à partir de la fin des années soixante dix.

Ces politiques furent, tout d'abord, difficiles à mettre en pratique. La vitesse de circulation de la monnaie connaissait d'importantes et brusques variations, alors que M. Friedman la considérait stable. Or, si la vitesse de circulation varie, le contrôle de la masse monétaire perd une partie de son efficacité. Par ailleurs, la question de l'agrégat monétaire à suivre (M1, M2 ou M3 ?) n'a jamais été tranchée. Alors que la Fed suivait la masse monétaire M1, conformément aux recommandations monétaristes, elle abandonna cet indicateur pour suivre M2, qui tendait également à s'écarter de sa tendance. Les innovations financières des années 1980-1990, en accroissant la liquidité des actifs, ont rendu la distinction entre monnaie et actifs non monétaires encore plus difficile à trancher. Selon Paul Krugman, la Fed cessa de se conformer à cette politique dès 1982, et y renonça officiellement en 1984. Depuis, elle mène des politiques monétaires discrétionnaires[71], fondée sur un objectif d'arbitrage entre croissance et inflation. Le bilan de la politique monétaire américaine depuis l'abandon du monétarisme, notamment lors de la période pendant laquelle la réserve fédérale était dirigée par Alan Greenspan entre 1987 et 2006, fait l'objet de débats intenses. Certains économistes considèrent qu'elle a contribué à empêcher le développement de crises systémiques majeures dans les pays développés et à maintenir le plein-emploi au sein de l'économie américaine[72]. D'autres auteurs jugent qu'elle a provoqué la formation de bulles spéculatives à répétition, dont la plus importante est la bulle immobilière américaine des années 2000 à l’origine de la crise des subprimes.

Les critiques estiment que ces politiques monétaristes n'ont pas donné tous les résultats escomptés. Michel Aglietta estime même que si l'inflation fut brisée « au-delà de toutes les espérances [...] les coûts exorbitants en termes de pertes de production et d'emploi dans le monde entier, le déclenchement de la crise de la dette souveraine des pays du tiers monde, les changements structurels induits dans la finance furent des conséquences sans commune mesure avec les ajustements bénins qui étaient prédits par les monétaristes. »[73]. Pour les économistes néo-keynésiens, cette baisse de l'inflation et la hausse du taux de chômage étaient d'ailleurs directement liées, non pas au contrôle de la masse monétaire (qui n'a jamais été véritablement réalisée selon eux), mais seulement aux effets sur l'économie réelle des taux d'intérêt extrêmement élevés de la Fed au début des années 1980. John Kenneth Galbraith affirme : « finalement, l'inflation fut maîtrisée. La monnaie n'est pas liée aux prix grâce à la magie cachée de l'équation de Fisher, ou grâce à la foi de Friedman, mais à cause des taux d'intérêt élevés qui permettent de contrôler les prêts bancaires (et les autres) et la création de dépôt »[74]. En d'autres termes, la politique monétaire de taux élevés qui décourage les investissements les moins rentables en renchérissant les prêts, provoquant un ralentissement économique, ne passe pas par le contrôle et la réduction de la masse monétaire. Cependant, la croissance de la masse monétaire a été arrêtée sur la période 1978–1982[75], ce qui appuie la vision des monétaristes. Les néo-classiques pensent quant à eux que la politique monétariste a avant tout permis d’ancrer les anticipations d’inflation à un niveau faible, ce qui a ensuite permis le relâchement des taux d'intérêt la Fed.

Pour les économistes post-keynésiens, les problèmes théoriques de la théorie quantitative de la monnaie expliqueraient les difficultés croissantes que les banques centrales rencontreraient dans le contrôle des agrégats monétaires aux États-Unis et en Grande-Bretagne au cours des années 1980.

Au sein de la zone euro, la Banque centrale européenne fait référence, à coté d'autres indicateurs, à un « pilier monétaire » constitué par l'agrégat M3 dans ses prévisions d'inflation. Depuis 1998, le taux de croissance de cet agrégat choisit en référence par la BCE est de 4,5 %, niveau au-delà duquel elle considère qu'il existe un risque d'inflation supérieur à 2 %. Les économistes post-keynésiens critiquent ce principe de ciblage[76].

[modifier] Œuvres

Friedman a écrit de nombreux livres et articles. La liste suivante n'est pas exhaustive :






[modifier] Bibliographie


[modifier] Notes et références

  1. (en)Economist Touted Laissez-Faire Policy, The Washington Post, 17 novembre 2006
  2. pour ses travaux sur « l'analyse de la consommation, l'histoire monétaire et la démonstration de la complexité des politiques de stabilisation »
  3. abc (en)Milton Friedman sur la page du Prix Nobel
  4. (en)Autobiographie de Milton Friedman sur la page du Prix Nobel
  5. abcde Article « Milton Friedman » de l'encyclopédie Britannica, 2007
  6. abcd The New Palgrave, article « Milton Friedman », édition 1998
  7. Friedman, Milton, « Milton Friedman - Autobiography », Nobelprize.org. Consulté le 2007-04-22
  8. Milton & Rose Friedman : Two Lucky People, 1998, University of Chicago Press, p. 59.
  9. (en)Roofs or Ceilings, Foundation for Economic Education
  10. DeLong, J. Bradford : Right from the Start? What Milton Friedman can teach progressives, 2007, p. 110 [pdf]Lire en ligne
  11. Ben Bernanke : Essays on the Great Depression, Princeton University Press, 2000 p. 7, (ISBN 0691016984)
  12. Capitalisme et liberté, chap. 9 et La liberté du choix, chap. 7
  13. Milton & Rose Friedman, Two Lucky People, pages 84-85
  14. Milton & Rose Friedman, Two Lucky People, page 113
  15. Préface à l'édition de 1982 de Capitalism and Freedom, p. xi de l'édition de 2002
  16. abcd L'héritage de Milton Friedman, un géant de la science économique, Problèmes économiques, 7 novembre 2007
  17. (en)Commanding Heights
  18. Biographie de Milton Friedman sur Liberpedia
  19. (en)The Economist and the Dictator, Reason, 15 décembre 2006
  20. (en)Préface à l'édition de 1982 de Capitalism and Freedom, p. xii de l'édition de 2002
  21. ab Qui sont les monétaristes ?, Eva Dunoyer [pdf]
  22. (en)Milton & Rose Friedman : Two Lucky People : Memoirs, p 233
  23. (en)Remarks by Governor Ben S. Bernanke
  24. Colloque de 2001 sur les taux de change flottants, Banque du Canada [pdf]
  25. (en)Interview avec Charlie Rose, 26 novembre 2005
  26. ab Les grands économistes, Jean-Claude Drouin, Presses Universitaires de France, 2006, ISBN 2130546250
  27. (en)Interview avec Richard Heffner dans l'émission Open Mind en 1975
  28. Friedman, l'anti-Keynes, Institut économique de Montréal
  29. Milton Friedman est-il keynésien ?, Roger Garrison, 1992
  30. (en)Milton Friedman unraveled, Murray Rothbard, 1971, repris sur le site de Lew Rockwell
  31. Préface à l'édition de 1962 de Capitalism and Freedom, p. xv de l'édition de 2002
  32. (en)The 100 best non fiction books of the century, National Review
  33. Ces émissions sont désormais librement diffusées en anglais sur le site Ideachannel.tv
  34. (en)About us, Friedmanfoundation.org
  35. Hommage à Milton Friedman et à Lord Harris, Pascal Salin, Le Figaro, repris sur le Québécois libre
  36. Milton Friedman n’est pas mort, Serge Halimi, Le Monde diplomatique, 30 novembre 2006
  37. George Stigler : Memoirs of an Unregulated Economist, 1988, ISBN 0226774406
  38. William A. Niskanen : Reaganomics, in The Concise Encyclopedia of Economics
  39. Bernard Shull : The Fourth Branch: The Federal Reserve's Unlikely Rise To Power And Influence, Praeger/Greenwood, 2005, (ISBN 1567206247), p. 142
  40. Selon les chiffres de la Fed de Minneapolis, (en)Données historiques de la Fed de Minneapolis
  41. Schwarzenegger et l'économie : Smith et Friedman, Jacques Garello
  42. Gordon Pepper : Inside Thatcher's Monetarist Revolution, 1998, (ISBN 031221040X)
  43. (en)[pdf]Indice des prix à la consommation depuis 1947, Office britannique des statistiques
  44. Margaret Thatcher : Les chemins du pouvoir, Albin Michel, édition 1995, page 525
  45. (en)Thatcher praises Friedman, her freedom fighter, The Telegraph, 18 novembre 2006
  46. La solution chilienne, Guy Sorman, 16 novembre 2007
  47. Interview avec Jeffery Sachs sur « le miracle chilien », PBS.org
  48. (en)(es)Lettre de Milton Friedman à Pinochet, telle que rapportée dans Two Lucky People, mémoires de Rose & Milton Friedman, 1998
  49. Up for Debate: Reform Without Liberty: Chile's Ambiguous Legacy, Milton Friedman, PBS
  50. (en)Interview de Milton Friedman interview, PBS.org
  51. Milton Friedman et Rose Friedman : Two Lucky People:Memoirs, p.600-601
  52. Encyclopaedia Britannica 2007 Ultimate Reference suite, article History of Latin America, traduction libre
  53. (en)Vidéo du débat télévisé
  54. Miracle on Iceland, Hannes Hólmsteinn Gissurarson, The Wall Street Journal, 29 janvier 2004
  55. (en)Mart Laar's biography, Cato Institute, 2006
  56. (en)Executive summary du classement 2007 de l'Heritage Foundation
  57. (en)Milton Friedman, a giant among economists, The Economist
  58. (en)The Power of Choice, extrait de Free to Choose Media
  59. (en)"'Milton Friedman Day' marked", James Hohmann, The Stanford Daily, 30 janvier 2007
  60. (en)MiltonFriedmanDay.org
  61. (en)Biographie sur le site de la fondation Milton & Rose Friedman
  62. Voir par exemple Paul Samuelson, « The Economic Responsibility of Government », in Milton Friedman and Paul Samuelson Discuss the Economic Responsibility of Gouvernment, A&M, 1980 ; Robert Solow, « On Theories of Unemployment », in American Economic Review, vol; 70, 1980 ou James Tobin, « The Monetarist Counter Revolution Today : An Appraisal », in Economic Journal, vol. 91, 1981.
  63. Voir par exemple Sydney Weintraub, Keynes, Keynesians and Monetarists, 1973, ou Nicholas Kaldor, Le fléau du monétarisme, Paris, Economica, 1985.
  64. (en)Who was Milton Friedman, Paul Krugman, The New York Review of Books, février 2007
  65. Alan Greenspan, Le temps des turbulences, JC Lattès, 2007, page 607
  66. (de)Auf eine Reformation folgt eine Gegenreformation. Über Milton Friedman, Paul Krugman, Merkur 61. juin 2007, page 521
  67. Franco Modigliani, « The Monetarist Controversy Or, Should We Forzake Stabilization Policies », American Economic Review, vol. 67, p. 1, 1977
  68. Nicholas Kaldor, Le fléau du monétarisme, Economica, 1982, p.135.
  69. Voir par exemple, Paul Evans, « Money, Output and Goodhart's Law: The U.S. Experience », Review of Economics & Statistics, n°67, 1985.
  70. Voir Image:Us unemployment rates 1950 2005.svg
  71. Paul Krugman, « Who was Milton Friedman ? », The New York Review of Book, n°2, février 2007 [1]
  72. Voir par exemple Michel Aglietta et Laurent Berrebi, « Politique monétaire : tirer le meilleur parti de la mondialisation », in Désordres dans le capitalisme mondial, Odile Jacob, 2007, p.160-176.
  73. Michel Aglietta, Le renouveau de la monnaie.
  74. J. K. Galbraith, L'économie en perspective (1987) in Economie hétérodoxe, Seuil, 2007, p. 512
  75. Cf. le graphique de l’évolution de M3 : Image:Us proportionate m3.svg
  76. La BCE a-t-elle raison d'augmenter ses taux ?, lettre de l'OFCE n°278, 7 décembre 2006.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Liens internes



[modifier] Liens externes

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