Massacre du 17 octobre 1961

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Le Massacre du 17 octobre 1961 désigne la répression ayant frappée une manifestation pacifique en faveur de l'indépendance de l'Algérie à Paris. Selon les estimations, entre 32 et 325 Maghrébins sont morts sous les coups de la police française, alors dirigée par le préfet de police Maurice Papon. Des dizaines de manifestants ont été jetés dans la Seine, tandis que d'autres sont morts dans des centres de détention dans lesquels ils sont restés enfermés pendant quatre jours.

Nié par les plus hautes autorités de l'époque, le massacre n'a commencé à faire l'objet de recherche qu'à partir du milieu des années 1970 et n'est vraiment devenu largement connu que lorsque Maurice Papon perdit un procès en diffamation contre un historien en 1999.

Sommaire

[modifier] Prémices

Bien avant la nuit du 17 octobre, la tension entre les membres du FLN et la police est déjà importante. Les nombreux attentats visant des policiers attisent la colère des forces de l'ordre. Au total, 22 policiers trouvent la mort dans les attentats du FLN de janvier à octobre 1961, contre 9 pour toute l'année 1960.

Alors que le gouvernement français tente par tous les moyens de tempérer les relations avec le FLN pour élaborer les accords d'Évian, notamment en n'exécutant plus aucun membre du FLN, la police considère cela comme un sabotage de son autorité. Des groupes de policiers se forment donc et sur leur temps libre ils pratiquent des passages à tabac et des meurtres sur des Nord-Africains. Un pic de 54 cadavres de Nord-Africains sera recensé par l'Institut médico-légal du 1er au 16 octobre 1961.

Le Président de la république, le général Charles de Gaulle, considère que tous ces attentats du FLN sont un moyen de pression exercé sur l'État français. Ordre est donc donné à Maurice Papon, alors préfet de police de Paris, d'empêcher par tous les moyens les membres du FLN de se réunir et de manifester. Le préfet de police lance une série de mesures accroissant considérablement les contrôles divers et variés sur la population nord-africaine. Elle est de plus en plus harcelée et humiliée par la police. Certains disparaissent même mystérieusement après une rafle des forces de l'ordre [1]. À l'enterrement d'un policier tué dans un attentat du FLN, Maurice Papon dit : « Pour un coup reçu, nous en porterons dix » [2]. Et il assure à ses hommes que s'ils ouvrent le feu les premiers, ils seront « couverts » [3].

[modifier] Massacre

C'est dans cette ambiance qu'il décide le 5 octobre d'établir un couvre-feu, fixé de 20h30 à 5h30, pour tous les « Français musulmans d'Algérie » de la région parisienne.

Voulant manifester contre cette mesure, les dirigeants du FLN décident d'organiser des manifestations pacifistes la nuit, en plein couvre-feu. Tous les Algériens de la région parisienne, femmes et enfants (même en très bas âge), sont alors « vivement invités », quelquefois sous la contrainte [1], à venir manifester pacifiquement contre la mesure. Le service d'ordre du FLN procède à des fouilles pour vérifier qu'aucune arme ne sera infiltrée.

Maurice Papon donne l'ordre d'intercepter tous les Algériens et de les empêcher par tous les moyens de participer à la manifestation. Des contrôles sont effectués dans tous les grands points de passage de Paris. De nombreux Nord-Africains sont frappés et emmenés dans des centres de détention. La police annoncera plus de 11 000 internements, chiffre probablement inférieur à la réalité, dans des lieux réquisitionnés comme le palais des Sports ou le stade de Coubertin, ainsi qu'au Centre d'Identification de Vincennes (situé dans le bois de Vincennes). Ces détentions se prolongeront sur plusieurs jours, sans la présence de médecins ni de journalistes. Les témoignages de rescapés et d'appelés [1] feront état de passages à tabac et de décès pour défaut de soins.

Près du pont Saint-Michel, les manifestants se heurtent à la police, de nombreux Nord-Africains sont alors frappés par les officiers de police, et certains, inconscients ou morts, sont alors jetés dans la Seine. Des témoins[4] décrivent dans de nombreux quartiers de Paris des scènes d'exécution à l'arme à feu, de mutilation à l'arme blanche et d'entassement de cadavres. Plus tard dans la nuit, la police lancera des « ratonnades » dans le bidonville de Nanterre (département de la Seine). Un journaliste américain parlera d'une « Saint-Barthélémy moderne ». Des policiers[5] évoqueront aussi un « massacre » dans la cour de la préfecture.

Des faux messages d'information sont même diffusés durant la nuit, relatant des échanges de coups de feu avec les manifestants et l'annonce de la mort de plusieurs policiers. Tous ces messages n'avaient qu'un seul but, attiser encore plus la colère des forces de l'ordre à l'encontre des Nord-Africains. Par ailleurs, l'hypothèse d'un débordement incontrôlé est à écarter, puisque Maurice Papon surveilla en personne le déroulement des opérations et se rendit même sur place pour vérifier leur efficacité.

[modifier] Dans la presse

[modifier] Titres du lendemain

Au lendemain de la manifestation, une partie des journaux reprend tel quel le bilan officiel : 3 morts, 55 blessés, les policiers se sont défendus face à des manifestants agressifs et armés. Parmi les plus virulents contre les Algériens, France-Soir, Paris-Presse, L'Aurore et Le Figaro se félicitent de l'action de la police. Quelques exemples de la presse du 18 octobre : Le Figaro « rend grâce à la vigilance, à la prompte action de la police », Paris-Jour s'enflamme « C'est inouï ! Pendant trois heures 20 000 musulmans algériens ont été les maîtres absolus des rues de Paris ».

Rares sont les journaux à réfuter immédiatement le bilan gouvernemental. L'Humanité et Libération seront de ce nombre, avec plus ou moins d'audace. « Sur ce qu'a été cette tragique journée d'hier, nous ne pouvons tout dire. La censure gaulliste est là. Et L'Humanité tient à éviter la saisie pour que ses lecteurs soient, en tout état de cause, informés de l'essentiel » L'Humanité du 18 octobre.

Beaucoup, à l'instar du Monde ou de La Croix s'en tiennent à la version officielle accompagnée de quelques doutes timides. Par la suite, ils rendront progressivement compte des exactions commises et abandonneront leur version initiale des faits.

[modifier] Témoignages

Élie Kagan est le seul journaliste français à « couvrir » la manifestation des Algériens. Il est reporter-photographe free-lance et est mandaté par le journal Témoignage chrétien, issu de la Résistance et pionnier de la décolonisation. Le massacre aura d'autres témoins comme René Dazy, journaliste à Libération venu récupérer son scooter. Des journalistes de L'Humanité raconteront aussi les scènes de carnage visibles depuis les fenêtres du journal. Le journal d'extrême gauche Vérité et liberté tentera également de publier des témoignages de policiers réfractaires mais sera saisi avant sa parution.

Les seules preuves visuelles du massacre sont l'œuvre d'Élie Kagan (seul à avoir pris des photos) et de journalistes américains qui tournèrent un film. Élie Kagan est arrêté par la police, son appareil et ses films confisqués. Il passe la fin de la nuit au poste. Georges Montaron, directeur de Témoignage chrétien, vient le chercher à la première heure au commissariat et les deux hommes parcourent les rues à la recherche des films abandonnés par Élie Kagan (sa première bobine a été remise à René Dazy), qui est sous le choc. Georges Montaron décide de rechercher d'autres témoins du massacre : il trouvera un témoin clef en la personne d'un jeune aumônier du service de Santé des Armées.

[modifier] Évolution

L'ampleur des violences en région parisienne, en particulier à Paris et à Nanterre, rendait impossible un étouffement complet de l'affaire. Progressivement la majorité de la presse, et même Le Figaro, publie des articles sur les exactions commises par la police, évoquant par exemple des « scènes de violence à froid » dans les centres d'internement. Le Monde, malgré une position ambiguë, rendra également compte de ces conditions de détention exécrables et l'invraisemblance des annonces officielles.

Le témoignage d'Élie Kagan sera publié dans le numéro suivant de Témoignage chrétien (daté du 27 octobre). Cette édition consacrera un dossier complet au massacre des Algériens, avec un éditorial d'Hervé Bourges, qui vient d'être promu rédacteur en chef. C'est une photo pleine page d'Élie Kagan qui fait la Une du journal chrétien : on y voit un manifestant en sang soutenu par un journaliste américain. À l'intérieur, d'autres photos d'Élie Kagan comme cet Algérien touché d'une balle à la station de métro Solférino. D'autres photos de lui paraîtront dans le journal de gauche France Observateur. Curieusement si Témoignage chrétien est souvent saisi par Maurice Papon, et Georges Montaron poursuivi devant les tribunaux, ce numéro-là ne sera pas saisi.

La radio, par contre, ne révèle pas les événements. La télévision française raille la presse américaine, accusée d'avoir affirmé que « la Seine charriait des cadavres d'Algériens ».

Le 26 octobre, Georges Montaron, directeur de Témoignage chrétien, Claude Bourdet, directeur de France Observateur, Emmanuel d'Astier de la Vigerie, directeur de Libération, le RP Avril, directeur de Télérama, le Pasteur Lochard, Jean-Marie Domenach, directeur de la revue Esprit, Jean Schaeffert et André Souquière, organisent à la Mutualité, un meeting pour « protester contre les violences policières et la répression de la manifestation du 17 octobre 61 à Paris ».

Par la suite, la censure empêchera la publication de nombre de revues, de livres et de vidéos consacrés à ces violences. Néanmoins, à travers la grande presse, les témoignages directs (les faits avaient souvent eu lieu en pleine rue) et les parutions sous le manteau, les Français furent globalement informés que des exactions sans précédent avaient été commises. Pourtant, les faits furent vite relégués au second plan, et Le Monde n'hésita pas à titrer quelques mois plus tard que les 8 morts du métro Charonne était « la répression la plus violente que Paris ait connu depuis 1934 ».

[modifier] Mutisme médiatique

Au lendemain du 17 octobre, certains responsables politiques et journalistes s'indignèrent de la violence des forces de police. Ainsi Claude Bourdet, élu du PSU, interpella Maurice Papon lors du conseil municipal de Paris du 27 octobre 1961 pour savoir s'il confirmait les affirmations de la presse parisienne selon laquelle 150 corps furent repêchés dans la Seine en 10 jours.

L'État, pendant plusieurs années, s'employa à faire de la rétention d'informations. La création d'une commission d'enquête parlementaire, demandée par des parlementaires socialistes et communistes, est bloquée, la publication de plusieurs livres interdite, les bandes d'un documentaire furent saisies par la police (toujours sous les ordres de Maurice Papon). Jusqu'en 1981, la radio et la télévision, contrôlées par l'État, n'abordèrent pas le sujet.

Si les partis de la droite française sont accusés d'avoir soutenu ces violences[réf. nécessaire], les partis de la gauche sont accusés d'avoir également participé à cet oubli[réf. nécessaire]. Le Parti communiste français aurait fait passer l'événement de Charonne comme la réponse la plus violente de la police sur des manifestants pacifiques. Dans Charonne, 8 février 1962, l'historien Alain Dewerpe cite plusieurs propos tenus par des hommes politiques ou journalistes de gauche, notamment communistes, au cours des années 1970 et 1980, évoquant les massacres d'octobre. Il juge qu'au contraire, au cours des années 1990, c'est le 17 octobre qui a occulté Charonne, tout en laissant entrevoir la possibilité que cesse cette concurrence des victimes.

[modifier] Reconnaissance

Plaque commémorative implantée sur une passerelle d'Aubervilliers, sur le canal Saint-Denis
Plaque commémorative implantée sur une passerelle d'Aubervilliers, sur le canal Saint-Denis

Ce n'est que dans le milieu des années 1970 et le début des années 1980 que l'on peut voir apparaître des livres relatant le massacre du 17 octobre.

L'écrivain Didier Daeninckx publie en 1984 le roman Meurtres pour mémoire, qui évoque sans le nommer Maurice Papon, en liant un ancien collaborateur au massacre de 1961.

La véritable médiatisation du massacre des Algériens à Paris viendra étrangement avec un procès en diffamation que Maurice Papon intente à l'historien Jean-Luc Einaudi. Ce dernier a publié en 1991 un livre dans lequel il relate très fidèlement les événements du 17 octobre. Son travail se base sur de nombreux témoignages (aussi bien d'Algériens que de policiers présents) et de documents du FLN. Il ne peut consulter les archives de la police de Paris, faute d'avoir les autorisations nécessaires. Mais ce n'est pas pour la publication de son livre que Maurice Papon porte plainte, mais pour celle d'un article paru le 20 mai 1998, dans Le Monde, où Jean-Luc Einaudi écrit : « Je persiste et signe. En octobre 1961, il y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de l’ordre agissant sous les ordres de Maurice Papon ». L'ancien préfet de police perd son procès en mars 1999 et c'est avec ce dernier que le massacre du 17 octobre revient véritablement sur le devant de la scène médiatique.

Il faut attendre le 17 octobre 2001, quarante ans, jour pour jour, après les faits, pour qu'un élu reconnaisse officiellement le massacre des Algériens à Paris. C'est le maire de Paris, le socialiste Bertrand Delanoë, qui inaugure la plaque commémorative sur le pont Saint-Michel. Aucun représentant de la droite municipale ne désira participer à la célébration.

Le jour même, l'après-midi, à l'Assemblée nationale, le secrétaire d'État à la Défense chargé des anciens combattants Jacques Floch évoqua notamment à propos des événements du 17 octobre « un couvre-feu appliqué sur la base du faciès ». La plupart des députés du RPR et de Démocratie libérale ont alors quitté l'Assemblée nationale, critiquant la « récupération politique » d'un tel événement.

[modifier] Responsabilité de l'État français

La responsabilité de l'État français ne s'arrête pas à Maurice Papon, elle va bien au-delà. Tacitement, les plus hauts responsables politiques en place (principalement Michel Debré alors premier ministre et Charles de Gaulle, président de la république) laissent à Maurice Papon la liberté de répondre par la force au problème du terrorisme du FLN en France.

[modifier] Annexes

[modifier] Bibliographie

[modifier] Filmographie

  • 1962 : Octobre à Paris, film de Jacques Panijel filmé quelque temps après les évènements d'octobre [6]
  • 1985 : Meurtres pour mémoire, film de Laurent Heynemann
  • 1992 : Une Journée portée disparue, documentaire de Philip Brooks et Alan Hayling, 52 min couleur.
  • 2002 : Mémoires du 17 octobre, documentaire de Faïza Guène et Bernard Richard (Les Engraineurs), 17 min couleur [7].
  • 2005 : Nuit noire 17 octobre 1961, film de Alain Tasma.
  • 2005 : Caché, film de Michael Haneke.

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. abc La Bataille de Paris, 17 octobre 1961 Jean-Luc Einaudi, Seuil 1991
  2. (fr) Le 17 octobre 1961 à Paris
  3. (fr) 17 octobre 1961 - Nuit tragique à Paris
  4. La Bataille de Paris, 17 octobre 1961 Jean-Luc Einaudi, Seuil 1991
  5. La Bataille de Paris, 17 octobre 1961 Jean-Luc Einaudi, Seuil 1991
  6. (fr) Festivals d'un film maudit, entretien avec Jacques Panijel
  7. (fr) Mémoires du 17 octobre, sur le site du Festival Côté Court