Loïc Wacquant

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Loïc Wacquant est un sociologue français né en 1960 qui exerce aux États-Unis.

Sommaire

[modifier] Parcours

Il effectue d'abord des études d'économie industrielle. Après sa rencontre avec Pierre Bourdieu, il s'oriente vers la sociologie au début des années 1980. De 1985 à 1994, il est étudiant au département de sociologie de l'Université de Chicago, et membre de la Society of Fellows à l'Université Harvard de 1990 à 1993, avant d'être recruté comme professeur à l'Université de Californie à Berkeley. Il est aussi membre du Centre de sociologie européenne (Collège de France - ÉHESS).

Depuis les années 1990, il mène une réflexion sur les processus de criminalisation de la misère, l’hypercarcéralisation et la marginalité urbaine aux États-Unis en lien avec la question raciale. Après une formation de terrain en Nouvelle-Calédonie où déjà l’étude des modes de domination ethnoraciale affleurait, il poursuit cette recherche sous la houlette du sociologue noir-américain William Julius Wilson qui dirige alors le département de sociologie, et puise ses matériaux dans une longue immersion au sein du quartier défavorisé de Woodlawn qu'il mettra en perspective avec une enquête en banlieue française dans le quartier de La Courneuve.[1]

Etudiant à l'université, il mène l'ethnographie d'une salle de boxe située alors à la frontière du campus de l'Université et du South Side de Chicago, un des plus grands ghettos noirs des États-Unis. Publié sous le titre Corps et âme. Carnets ethnographiques d'un apprenti boxeur (Agone, 2000), ce livre le fait connaitre en dehors de la communauté des chercheurs en sciences sociales. Il y présente une étude détaillée du milieu de la boxe dans et autour de Chicago, ainsi qu'un plaidoyer pour une ethnographie participative au plus près des enquêtés.

Loïc Wacquant s'est par ailleurs fait connaître du grand public par des articles de presse (dont plusieurs dans le Monde Diplomatique). Le petit livre Les prisons de la misère (Raisons d'Agir, 1999) connut un grand succès en France et fut ensuite traduit dans 10 langues.

Auteur prolixe, Wacquant a publié une centaine d'articles à destination des sociologues ou d'un public plus vaste. Il a réalisé un livre d'entretiens avec Pierre Bourdieu[2], dans lequel ce dernier explicite les recherches qu'il a développées depuis le début des années 1960 et revient sur ses concepts-clefs. Bourdieu y invite aussi, comme le dit le sous-titre, à "une anthropologie réflexive".

Lors de l'élection présidentielle française de 2007, Loïc Wacquant est signataire d'"un appel de 200 intellectuels en faveur de Ségolène Royal" appelant à voter pour la candidate dès le premier tour[3].

[modifier] Thèses et concepts développés

Ses cours de sociologie touchent à ses thèmes de recherche (Comparative urban inequality and marginality, Race and the State, Carceral institutions, Sociological theory, Sociology of the body, etc.). Il est membre du comité de rédaction de la revue Actes de la recherche en sciences sociales et co-fondateur d’Ethnography, qui promeut les enquêtes de terrain.

Loïc Wacquant a publié en 2006 une version augmentée des articles qu'il avait tirés de sa thèse de doctorat. Parias Urbains. Ghetto, Banlieues, Etat, La découverte, 2006, est une comparaison du « South Side » de Chicago (Bronzeville) et d'un quartier situé dans la banlieue nord de Paris -la cité des Quatre Mille de La Courneuve. Pour Wacquant, par-delà les similitudes (lieux stigmatisés et que l’on cherche à fuir, taux de chômage très supérieur à la moyenne nationale, faiblesse des opportunités) ce sont les différences qui l’emportent entre ces deux territoires de "relégation urbaine" (formes et taux de criminalité, présence des pouvoirs publics, homogénéité ethnique, rôle de l’économie informelle). Alliant l’histoire aux données d’enquêtes statistique et ethnographique, il décrit l’émergence de deux configurations différentes et les mécanismes qui en sont la cause (entre autres le rôle primordial que joueraient les pouvoirs publics dans la cristallisation des deux formes de marginalité urbaine que sont les banlieues françaises et le ghetto des Ceintures noires américaines. Travail historiquement daté (le début des années 1990), l'auteur y esquisse toutefois à la fin de l'ouvrage une tentative de caractérisation des régimes de marginalité avancée, concept destiné à remplacer celui de ghetto, selon lui impropre pour décrire les réalités françaises.

Il y développe également le concept d'hyperghetto qui aurait succédé à partir de la fin des années 70 au ghetto noir des grandes villes américaines. Le ghetto était un quartier habité de Noirs, toutes classes sociales confondues. L'hyperghetto est toujours un quartier exclusivement noir, mais il se distinguent du précédent sur deux points : d'une part, seules les catégories sociales les plus pauvres de la société américaine (anciens ouvriers déprolétarisés, mères élevant seule ses enfants, etc.) y habitent. D'autre part, la présence de l'Etat y est la plus faible (transports en commun déficients, faibles moyens éducatifs, services sanitaires parfois inexistants, etc.) et la plus inefficace (aide sociale logement attribuée directement aux propriétaires des logements...). Enfin, il y critique le concept d'underclass pour son caractère imprécis, moralisateur et partiellement raciste.

La parution du livre Sur la rue. Questions d'ethnographie urbaine (Raisons d'Agir) est annoncée pour 2007. On l'aperçoit aux côtés de Pierre Bourdieu dans le documentaire La sociologie est un sport de combat ou encore dans Attention danger travail.

[modifier] Controverses

Les critiques émises par Loic Wacquant contre plusieurs sociologues américains lui ont valu de vives réactions de la part de ces derniers. C'est le cas de son article Scrutinizing the Street. Morality and the Pitfalls of Urban Ethnography[4] long article-symposium publié dans l'American Journal of Sociology de mai 2002. S'appuyant sur les travaux de trois auteurs clefs de la sociologie urbaine américaine (Elijah Anderson, Mitchell Duneier et Katherine Newman), Wacquant cherche à y montrer ce qu'il nomme les impensés communs à la plupart des travaux menés en sociologie urbaine américaine. Prenant pour objet les textes des auteurs (dont il reconnait par ailleurs, dès l'introduction, la qualité des travaux), Wacquant cherche à montrer ce qu'il nomme les travers communs des recherches sur la ville et l'urbain aux Etats-Unis. Il reproche aux auteurs soit de magnifier et de moraliser leurs enquêteurs, soit de chercher à les excuser quand la sociologie doit, pour lui, se contenter d'expliquer. Il leur reproche également de rester enfermés dans l'opposition entre pauvres méritants et pauvres non méritants, qu'a réinstitué dans le paysage idéologique américain le tournant conservateur du début des années 1980. Ce texte qui prend pour objet les méthodes et les cadres théoriques (explicites ou non) auxquels ont recours les auteurs se veut un travail d'épistémologie des sciences sociales. Les auteurs dénoncèrent l'attaque et reprochèrent à Wacquant d'avoir déformé les textes, tronqué des citations jusqu'à leur faire dire le contraire de ce qu'ils avaient écrit - et dénoncèrent ce qu'ils considéraient comme les « biais idéologiques » de son analyse, la lecture moralisante des données factuelles qui contredisent ses thèses et son absence de recherches sur les domaines sur lesquels portent les livres qu'il critiquait[5].

[modifier] Bibliographie sélective

  • Pierre Bourdieu avec Loïc Wacquant, Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Paris, Éditions du Seuil, 1992.
  • Actes de la recherche en sciences sociales, n°124, septembre 1998, De l’État social à l’État pénal, numéro coordonné par L. Wacquant.
  • Les Prisons de la misère, Paris, Raisons d'Agir, 1999.
  • Corps et âme. Carnets ethnographiques d'un apprenti boxeur, Marseille et Montréal, Agone, Comeau et Nadeau, 2000.
  • Punir les pauvres. Le nouveau gouvernement de l'insécurité sociale, Marseille, Agone, 2004. (Suite à un désaccord avec l'éditeur, L. Wacquant ne fait pas mention de ce livre dans sa bibliographie officielle.)
  • Pierre Bourdieu and Democratic Politics: The Mystery of Ministry Cambridge, Polity Press, 2005.
  • Parias Urbains. Ghetto, Banlieues, Etat. La Découverte, Paris, 2006.

[modifier] Filmographie sélective

Loïc Wacquant intervient dans les documentaires suivants :

On retrouve également trace de ses thèses sur « la guerre menée aux pauvres par l'idéologie néo-conservatrice » dans La raison du plus fort de Patric Jean.

[modifier] Notes & références

  1. ↑ Urban Outcasts. Color, Class and Place in two advanced societies, march 1994, Ph D. dissertation
  2. ↑ Réponses
  3. ↑ Libération, Le 22 avril, assumer notre responsabilité, 19 avril 2007.
  4. ↑ [pdf] Scrutinizing the Street: Poverty, Morality, and the Pitfalls of Urban Ethnography, American Journal of Sociology 107-6 (mai 2002)
  5. ↑ Les trois articles de réponse sont disponibles sur [1], le site de Mitchell Duneier

[modifier] Liens externes