Hiroshige

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Portrait posthume à la mémoire d'Hiroshige peint par le peintre et ami Kunisada Utagawa (1786 -1864).
Portrait posthume à la mémoire d'Hiroshige peint par le peintre et ami Kunisada Utagawa (1786 -1864).

Utagawa Hiroshige (1797-1858) est l'un des plus grands paysagistes japonais, portant ce thème à un niveau artistique au style inégalé. Il se distingua par des séries d'estampes sur le mont Fuji et sur Edo (actuel Tōkyō), dessinant avec génie les paysages et l'atmosphère de la ville, reprenant les instants de la vie quotidienne de la ville avant sa transformation à l'ère Meiji (1868-1912).

Ces œuvres se caractérisent par leur format vertical, par la maîtrise subtile des couleurs franches — avec la domination du vert et du bleu — et son sens du premier plan, qui sera repris, plus tard, par la photographie puis le cinéma.

Sommaire

[modifier] Présentation générale

Hiroshige Utagawa (広重 歌川 note) est un dessinateur, graveur et peintre japonais. Il est né en 1797 à Edo (aujourd'hui Tokyo) et mort dans la même ville en 1858. Auteur prolifique, actif entre 1818 et 1858, son œuvre est constituée de plus de 5 400 estampes[1].

Pour plus de détails : voir le catalogue des œuvres principales.

Il est le dernier des grands noms de l'Ukiyo-e et en particulier de l'estampe qu'il aura menée à un sommet inégalable avant le déclin de la xylographie au Japon au terme d'une histoire qui n'aura duré qu'un siècle. Rompant avec ses maîtres, Hiroshige se fait l'humble interprète de la nature, mais il est un véritable magicien quand il exprime à l'aide des moyens frustes de la gravure sur bois les délicates transparences de l'atmosphère au fil des saisons dans des paysages où l'homme est toujours présent. Sa mise en page est saisissante.

Peu après la réouverture forcée du Japon aux échanges avec l'Occident, c'est principalement à travers l'œuvre d'Hiroshige que le monde découvre vers 1870 l'étonnante originalité des arts graphiques dans ce pays. Le japonisme aura une influence déterminante sur les peintres impressionnistes et ensuite sur l'Art nouveau.

Note sur les divers noms d'Hiroshige : Pour qui s'intéresse de près à Hiroshige, il y a de prime abord de quoi se perdre dans les différents noms utilisés pour parler de l'artiste : Ando, Utagawa, Ichiryusai… sans compter les différentes orthographes possibles des noms (dûes à des traductions plus ou moins fidèles du japonais). Afin d'y voir plus clair, voici résumés ses divers noms (avec à gauche, la forme la plus courante) et leur signification :

  • Ando (ou Andô/Andō) Hiroshige qui vient de Ando Tokutaro, son nom de naissance et de Hiroshige, son nom de peintre. Ce nom est un des plus utilisé dans la littérature sur l'Ukiyo-e et c'est celui qui est largement retenu par les anglophones.
  • Utagawa (ou Utajawa) Hiroshige : C'est le nom de pinceau par lequel il fut honoré à quinze ans, un an après son entrée à l'école de Toyohiro et c'est également le nom le plus utilisé dans la littérature francophone.
  • Ichiryusai (ou Ichiryūsai/Ichiryûsai/Ichirijusai…) Hiroshige qui est le nom par lequel il a signé ses premières œuvres, notamment ses Vues célèbres de la capitale de l'Est.
  • Toyohiro II. Admis dans l'école de Toyohiro, il reprit l'atelier lorsque son maître mourut. Selon la tradition et par hommage, il reprit aussi son nom.


[modifier] Biographie

[modifier] Le contexte général : un artiste s'inscrivant dans la période de décadence de l'ukiyo-e

L'ukiyo-e, en français images du monde flottant est né au Japon au XVIIe siècle au sein de la culture urbaine et bourgeoise de la principale ville de l'époque, Edo, devenue Tokyo en 1868.

La technique de réalisation de ces estampes consiste en une gravure sur bois : le dessin original au pinceau est pratiqué sur une feuille de papier résistant très fin appelé « minogami », collée à l'envers sur une planche de bois assez tendre (cerisier, poirier, souvent coupée dans la tranche du tronc ce qui explique les limites du format « o-ban »). Cette planche matrice va être creusée à la gouge pour ne laisser en relief que les traits du pinceau. De là on tire autant de feuillets en noir et blanc qu'il faudra de couleurs. L'artiste détermine sur chacun des feuillets la couleur correspondant à des surfaces de vêtements, de feuillages, de mers, de montagnes, etc.

On grave ensuite de la même façon, à partir des feuillets en noir, des planches différentes correspondant à chaque future couleur. On imprime la feuille de papier (« hosho ») à estamper en l'appliquant successivement (dans un ordre déterminé par l'artiste) sur chaque planche dérivée de la première, repérée sur elle, mais encrée d'une couleur différente, et on frotte légèrement le papier humide avec un tampon de fibres spécial « baren » (extérieur en feuille de bambou), ce qui requiert un tour de main exceptionnel de la part des graveurs et des imprimeurs.

Par superposition de couleurs transparentes (végétales ou minérales), on peut obtenir une grande subtilité dans les tons à partir d'un nombre de couleurs limité. Du jaune sur de l'indigo plus ou moins foncé produit un vert, si l'on y surajoute la planche des ocres à certains endroits, ces endroits prendront une teinte vert-olive foncé, etc.

Parfois la planche des noirs est utilisée pour le repérage des couleurs, sans être imprimée, le noir étant omis, ce qui produit un effet d'aquarelle à l'occidentale. Pour les effets de neige, on réserve le blanc du papier, on y ajoute des paillettes de mica, on gaufre certains endroits avec une planche non encrée. Ces effets sont particulièrement perceptibles dans certaines estampes tardives d'Hiroshige, où il emploie en dernier des verts épais ou des rouges couvrants, par exemple, pour faire passer des feuillages au premier plan (ex. planche 52 « Akasaka kiribatake » des 100 vues de Edo), par dessus le trait noir (ou coloré) du dessin. L'habileté de l'imprimeur en appuyant plus ou moins avec son tampon, produit les effets de dégradés si souvent exploités pour la mer, le ciel, les gris des arrière-plans de neige, les brouillards. La pluie était tantôt en rayures de noir, tantôt réservée, tantôt surajoutée en encre blanche. Cela supposait entre peintre, graveur et imprimeur une intime complicité artistique. Ceux de l'éditeur Hoeidô ont soigné particulièrement leur travail lors de la première édition du « Grand Tokaido » et montré une habileté phénoménale. Hiroshige était passé maître, comme Katsushika Hokusai et leurs contemporains, dans l'exploitation de ces subtilités, que viendront compliquer encore, après le relatif délaissement des couleurs végétales aux teintes fragiles, l'emploi de couleurs opaques à l'aniline et des colorants azoïques venus d'occident.

Ces reproductions sur bois gravé étant d'un coût relativement faible, la production en série était aisée. Mais les planches s'usaient vite, l'on tirait donc d'avance plusieurs fois chaque planche sur papier minogami, avant les premières épreuves « commerciales », afin de regraver des bois neufs pour des tirages ultérieurs. Cela explique pourquoi la première édition, gravée à partir du dessin de l'artiste, a souvent plus de finesse que les éditions ultérieures, même soignées, regravées à partir du trait plus épais, moins "sensible", des épreuves de sauvegarde en noir et blanc, dont le noir a parfois un peu bavé.

A cette occasion, avant le retirage, il arrivait que l'artiste retouche l'estampe pour en améliorer la composition : par exemple « Nihombashi » (Hoeido) où deux versions différentes existent, comme dans quelques autres planches de la série. On trouve même trois variantes différentes dans certains cas, et la version de départ n'est pas toujours la plus réussie. Pour satisfaire le plus grand nombre d'amateurs, les peintres variaient les formes et les sujets : scènes de la vie quotidienne à Edo, vues de sites célèbres, sujets historiques, paysages, fleurs et oiseaux, illustrations érotiques.

Les estampes dont les Japonais étaient les plus friands à l'époque se nomment :

  • Bijin-ga c’est-à-dire des représentations de courtisanes, de geishas ou encore de serveuses de maisons de thé.
  • yakusha-e c’est-à-dire la représentation des acteurs les plus populaires du théâtre kabuki.

Au Japon, l'art prend de plus en plus d'ampleur pour atteindre son apogée à la fin du XVIIIe siècle, début du XIXe siècle.

Mais suite aux réformes de l'ère Kansei, et face aux pressions étrangères qui poussent le Japon à s'ouvrir vers le monde extérieur, la politique intérieure est délaissée et plus aucune impulsion nouvelle permettant de régénérer la culture et les Arts n'est donnée.

Plus tard, avec l'avènement de l'ère Meiji (1868-1912), le Japon s'ouvre au monde occidental et en retour celui-ci commence à pénétrer le Japon. La photographie et la lithographie ou encore la gravure et la peinture à l'huile, accueillies avec enthousiasme, sonnent le glas de l'ukiyo-e. Le retour en grâce ne se fait qu'avec le mouvement de la « nouvelle gravure » (Shin-Hanga), à partir des années 1910-1920.

C'est dans ce contexte que s'inscrit Hiroshige, mais aussi ses contemporains Kunisada Utagawa (1786-1864), Utagawa Kuniyoshi (1797-1861), Kikukawa Eizan (1787-1867), Keisai Eisen (1791-1848) et le plus connu d'entre tous Katsushika Hokusai (1760-1849).

[modifier] Les débuts[2]

Utagawa Hiroshige, de son vrai nom Ando Tokutaro, est né dans la caserne de pompiers de Yayosugashi, à Edo, où travaillait son père Ando Genemon en qualité d'officier de brigade.

La famille d'Hiroshige était titulaire d'une charge héréditaire de pompiers. La caserne était située non loin du château du shogun Tokugawa et de son gouvernement, dont elle était chargée de la surveillance.

Il perd ses parents très jeune et presque simultanément : d'abord sa mère, et un an plus tard, son père. Il avait alors quatorze ans. Père qui, après trente-cinq ans de service, venait de léguer à Hiroshige sa charge (il avait donc treize ans). Charge qu'au demeurant, le peintre tient jusqu'à ses vingt-sept ans, moment où il la lègue à son tour à Nakajiro, son fils ou son oncle (la parenté exacte n'a jamais pu être établie).

Avant cela, il a tenu sa fonction de pompier sans trop de difficultés dans la mesure où la caserne ne devait protéger du feu que le château du shogun. Ce qui lui laissa du temps pour sa passion : le dessin.

Un rouleau intitulé Procession des insulaires de Luchu a été retrouvé et certains experts l'ont attribué à Hiroshige. Il n'avait alors que dix ans. Ce qui est sûr, c'est que le shōgunat a bien reçu en 1806 un ambassadeur des îles Lechu venu lui rendre hommage. Pour ceux qui l'ont eu entre les mains, le dessin démontre un talent particulièrement précoce.

À partir de dix ans, ce serait Okajima Rinsai (1791-1865) qui lui aurai appris la peinture traditionnelle kanō.

On sait que, par la suite, il a essayé d'intégrer l'école de Utagawa Toyokuni (1769-1825), un des maîtres de l'estampe au début du XIXe siècle et a été refusé.

En revanche, à quatorze ans, il est accepté dans l'atelier d'Utagawa Toyohiro (1773-1828), qui fut à l'origine du développement de l'estampe de paysage et qu'il y apprit les styles Kanō et Shijō. Un an après (en 1812), il fut honoré du nom de pinceau d'Utagawa Hiroshige. Et en 1828, à la mort de son maître, il reprit l'atelier sous le nom de Toyohiro II.

Tatsujiro Nakamura dans son livre Hiroshige Wakagaki (les premières œuvres d'Hiroshige) de 1925 montre des estampes de 1822 nommées Uchi to Soto Sugata Hakkei et Goku Saishiki Imayo Utsushiye représentant des portraits de femmes. Or son travail porte plus l'influence d'Eisen que celle de son maître Toyohiro.

Jusqu'en 1829, il se consacre principalement aux portraits, tout comme ses prédécesseurs avant lui : femmes, acteurs, guerriers.

Mais la mort de Toyohiro et le fait qu'Hokusai ait déjà ouvert la voie de la peinture de paysage en en faisant un genre à part entière va lui ouvrir de nouvelles perspectives. La demande devient forte pour les représentations de paysages.

Il commence sa carrière de paysagiste avec Lieux célèbres de la capitale de l'Est en 1831-1832, mais c'est sa série Les cinquante-trois étapes de la route du Tōkaido qui le lance et lui vaut la célébrité immédiate en 1833-1834.

[modifier] Un succès instantané dans la peinture de paysages

[modifier] Une reconnaissance subite

Les cinquante-trois étapes de la route du Tōkaido, recueil de cinquante-cinq estampes représentent les cinquante-trois étapes qui reliaient (le shōgunat d') Edo à Kyoto, la ville impériale (soit cinquantre-trois étapes intermédiaires auxquelles il convient d'ajouter Edo au départ, et Kyoto à l'arrivée)

La première édition est le bestseller de l'ukiyo-e avec un tirage de plus de 10 000 exemplaires et valut à Hiroshige la renommée immédiate au Japon comme peintre paysagiste (Hiroshige avait été rebaptisé par ses contemporains : « le peintre du Tōkaidō »), et plus tard, dans le monde entier. C'est son ouvrage le plus connu et il a souvent été reproduit ou imité depuis. Devant le succès, des retirages ont du être fait, d'autres versions (une dizaine) sont sorties, incluant ou non certaines planches, en rajoutant, variant les présentations.

[modifier] Le contexte

Chaque année, une délégation se rendait à Kyoto pour rendre hommage à l'empereur en lui offrant un cheval. Sur ordre du shōgunat d'Edo, Hiroshige est chargé d'accompagner le gouvernement des Tokugawa faisant le périple et de fixer sur le papier les moments importants. En route, il fait des croquis qu'il reprend et peint une fois de retour à Edo.

Si le nom est les Cinquante-trois étapes et compte en réalité cinquante-cinq estampes, presque chaque édition comporte des planches totalement différentes pour chacune des étapes. Ainsi la première étape Shinagawa comporte neuf versions [1], la deuxième étape Kawasaki neuf versions [2], la troisième étape Kanagawa huit versions [3] etc.

[modifier] Les raisons du succès

À cette époque (années 1830), le commerce et la circulation se développaient rapidement. L'offre en moyens de transport tels chevaux et palanquins, ainsi que l'offre en auberges augmentaient sans cesse. Les pèlerinages à Ise, à Shikoku, ainsi que les voyages d'agréments prenaient de l'ampleur, d'autant plus que les contraintes gouvernementales étaient moins pesantes. Mais surtout la ville de Kyoto faisait l'objet d'une admiration grandissante. Hiroshige est donc tombé au bon moment.

À cela, il faut rajouter l'attrait nouveau pour les peintures de paysages, et ce en partie grâce à Hokusai.

Enfin, Hiroshige sait sublimer la beauté naturelle du pays en utilisant le style fukibokashi (permettant des dégradés par bandes ou une absence de motif) et y rajouter de la « magie » en utilisant la pluie, la neige, la lune et le brouillard. La dimension lyrique des estampes ainsi que la qualité d'impression ont parachevé le tout.

À partir de cet instant, il multiplie les voyages et les vues de paysages célèbres.

[modifier] Une production intense orientée vers les études de paysage

Hiroshige restera toujours fidèle à Edo sa ville natale : en 1840 ou 1841, il vit dans la rue Ogacho, puis dans la rue Tokiwacho et enfin en 1849, il s'installe à Nakabashi Kano-shinmichi où il mourra plus tard. Évidemment, il ne se contentera pas de ne voyager qu'à l'intérieur d'Edo. De mai à décembre 1841, il se rend dans la région de Kai, en 1852, dans les provinces de Kazusa et d'Awa, et en 1854, il est envoyé une deuxième fois en mission officielle à Kyoto.

De ses périples, on a retrouvé entre autres ses journaux : Journal de voyage (dont une partie à brûlé en 1923), Journal de voyage du temple Kanoyama et Journal du voyage dans les provinces de Kazusa et d'Awa. Ces journaux, les poèmes qu'il contiennent, ainsi qu'un certain humour prouvent qu'il était lettré contrairement à beaucoup d'artistes de son époque. On sait également qu'il tirait certains haiku illustrant ses tableaux d'un recueil intitulé Haiku d'anciens maîtres sur cinq cents sujets. Ceci confirme qu'il appréciait la poésie, aimait la lire et écrire des vers. Une série(Huit vues des environs de Edo) a d'ailleurs été commandée à l'instigation d'un poète (Tahaido) qui a financé les éditions d'une série (privée puis publique) où figurent ses poèmes. C'est aussi le cas des Huit vues d'Omi qui sont accompagnées de poèmes, et d'un certain nombre d'autres séries où des textes poétiques répondent à l'image.

Mais surtout il en tirera une multitude d'estampes qui seront rassemblées dans des recueils : Lieux célèbres de Kyoto, Soixante-neuf étapes du Kisōkaidō, Huit vues du lac Biwa, Cent vues d'Edo etc

Il prit soin de sélectionner les meilleurs éditeurs de l'époque, les meilleurs ateliers de gravure et d'impression.

Dans sa deuxième partie de carrière, il a davantage utilisé le format Oban (format plus vertical, il fait environ 39,5x26,8 cm), et utilisé la profondeur de champ en plaçant les personnages au premier plan pour créer des repères spatiaux.

Il a beaucoup utilisé le style fukibokashi permettant les degradés de couleur. Dans de nombreuses estampes polychromes, on peut remarquer l'utilisation du bleu de Prusse, ce qui lui valut d'ailleurs le surnom d'Hiroshige le bleu.

Fort de 8 000 estampes réalisées durant sa vie (fourchette haute de l'estimation - comprenant un bon nombre d'estampes en noir et blanc -, difficile à établir avec précision à cause de certaines planches où l'on hésite dans l'attribution, même si elles portent "Hiroshige ga", signature reprise par au moins deux de ses successeurs pendant un temps de leur carrière, ce qui ne contrariait sans doute pas les éditeurs), il se consacra en très grande partie à deux thèmes :

  • d'une manière générale, les paysages ;
  • en particulier, Edo, sa ville, dont il fit environ un millier d'estampes.

Mais Hiroshige était un peintre aux talents éclectiques comme le prouvent ses kachō-ga (peintures de fleurs et oiseaux), ses séries sur les poissons, ses scènes historiques, etc.

[modifier] La fin de sa vie

Hiroshige a été marié deux fois. Sa première femme mourut en octobre 1839, alors qu'il avait quarante-trois ans. Il prit pour deuxième femme la fille d'un fermier du village Niinomura dans la province du Yenshu. Celle-ci, qui avait seize ans de moins que lui, mourut en octobre 1876, soit dix-huit ans après la mort d'Hiroshige.

À la fin de sa vie, pas pauvre, mais pas excessivement riche non plus, il vivait dans une habitation de cinq pièces, s'inquiétant jusqu'au bout s'il pourrait rembourser certaines dettes contractées. Sans doute n'était-il pas vraiment attiré par l'argent ou ne savait-il pas le gérer. On a dit d'Hiroshige qu'il était épicurien, mais les seules choses sûres sont qu'il aimait les repas à l'auberge lorsqu'il voyageait et qu'il appréciait le saké.

Hiroshige est mort du choléra le six septembre 1858, l'épidémie tuant environ vingt-huit mille autres habitants d'Edo. Peu avant sa mort, pendant l'agonie, il a écrit son dernier poème :

Je laisse mon pinceau à Azuma Je vais voyager vers les terres de l'Ouest Pour y observer les célèbres points de vue

Sa dernière série, Fuji Sanj Rokkei était en cours d'édition par Tsutaya. Sa réédition du 6e mois de 1859 comporte un texte de Sankei Shumba « Hiroshige a livré ses derniers dessins à l'éditeur au début de l'automne, avant de mourir, disant qu'il s'agissait d'une addition de tous ses talents d'artiste acquis de son vivant ».

[modifier] Ses élèves

Voyageant, Hiroshige n'avait pas beaucoup de temps à consacrer à la transmission de son talent et à former de jeunes élèves. Il pensait aussi que les étudiants en Art devraient apprendre par eux-même.

Néanmoins, il en eut quelques uns, dont :

  • Suzuki Morita (1826-69), son fils adoptif et époux de sa fille. Il prit le nom d'Hiroshige II de 1858 à 1865, puis après ceux de Shigenobu ou Ryûsho. Il participa certainement à l'élaboration de certaines estampes du maître, dont certaines de Cent vues de sites célèbres d'Edo.
  • Ando Tokubei (1843-1894) qui n'a pas laissé de traces marquantes par ses œuvres hormis quelques kachō-ga et des planches montrant la transformation du pays sous l'ère Meiji.

[modifier] Sélection d'œuvres commentées[3]

[modifier] Cinquante-trois étapes de la route du Tōkaidō[4]

Hiroshige - Le Pont Nihonbashi à l'aube
Hiroshige - Le Pont Nihonbashi à l'aube

1re vue (départ) : Le Pont Nihonbashi à l'aube

  • Yoko-ōban, 24,8x37,2 cm
  • Nishiki-e
  • Éditeur : Takeushi Magohachi, Tsuruya Kieimon
  • Environ 4e-5e année de l'ère Tenpō ( 1833-1834)

Dans la région de Muromachi, près de Kitazume et Odawara, les marchés aux poissons surnommés « cuisine des citoyens » étaient nombreux. C'est ici, plus précisément au cœur de Nihonbashi que le voyage commence. C'est le lever du jour, vers sept heures du matin, que le cortège s'élance sur la route du Tōkaidō et se met en route en direction de l'Ouest (voir cartographie du voyage).

Il est composé d'un daimyō, précédé par des serviteurs aux étendards. À gauche, les vendeurs de poissons ont traversé le pont: ils ont entamé la journée très tôt et plient bagages pour aller vendre le poisson qui leur reste en porte-à-porte. A droite, deux chiens qui mangent peut-être les restes de poisson abandonnés sur place.

Il se dégage une telle tension de cette première estampe qu'elle se vendit aussitôt très bien, ce qui obligea à refaire certaines planches usées. Il en profita pour rajouter divers personnages.

Utagawa Hiroshige - Le Lac d'Hakone
Utagawa Hiroshige - Le Lac d'Hakone

11e vue (10e étape) : Le Lac d'Hakone

  • Yoko-ōban, 25,5x38,2 cm
  • Nishiki-e
  • Éditeur : Takeushi Magohachi
  • Environ 4e-5e année de l'ère Tenpō (1833-1834)

Le chemin d'Hakone peint ici, 10e étape du voyage, située entre l'auberge Odawara et l'auberge Mishima, est la partie la plus impraticable et dangereuse du trajet, et ce pour au moins trois raisons :

  1. Les voyageurs qui y passait étaient obligés de traverser de profondes vallées et d'escalader des cols particulièrement escarpés. La région est une ancienne "caldera" volcanique.
  2. Les postes de contrôle aux frontières, chargés de la défense d'Edo étaient armés jusqu'aux dents.
  3. Les voyageurs étaient soumis à de fréquents contrôles ce qui n'améliorait pas la facilité du périple.

Au fond, on peut apercevoir le mont Fuji, mais ce qui marque surtout l'attention reste la composition chromatique, très vive, énergique, foisonnante et colorée. Cette estampe (les couleurs vertes de la montagne indiquent qu'il s'agit du second tirage) est certainement la plus expressive de la série des cinquante-trois étapes de la route du Tōkaidō. Et malgré cette intensité des couleurs, le lac en contrebas arrive à apporter une impression générale de calme. Calme qui devait être cependant relatif pour les voyageurs quand on sait le vent et le froid qu'il devait faire en réalité. Il demeure dans cette estampe un esprit issu de la tradition Zen (Chan) des peintres lettrés chinois : l'élan de la montagne qui répond au calme réceptif de l'eau est proche de l'esprit du rouleau de Huang Gongwang "Habitations dans les monts Fu Chuen", un chef d'oeuvre visible au musée de Taipeh.

En haut : Hiroshige : Le Mont Fuji dans la lumière du matin à Hara, en bas : Hokusai : Averse au pied du mont Fuji
En haut : Hiroshige : Le Mont Fuji dans la lumière du matin à Hara,
en bas : Hokusai : Averse au pied du mont Fuji

14e vue (13e étape) : Le Mont Fuji dans la lumière du matin à Hara

  • Yoko-ōban, 25,4x38,3 cm
  • Nishiki-e
  • Éditeur : Takeushi Magohachi
  • Environ 4e-5e année de l'ère Tenpō (1833-1834)

Trente-six vues du mont Fuji : Orage au pied du mont Fuji

  • Yoko-ōban, 26,1x37 cm
  • Nishiki-e
  • Éditeur : Nishimuraya Yohachi
  • 2e-5e année de l'ère Tenpō (1831-1834)

D'Edo, Hiroshige avait déjà pu admirer au loin le mont Fuji, mais Hara situé entre Numazu et Yoshiwara offre le meilleur point de vue qu'on puisse imaginer sur le sommet, point culminant du Japon (3 776 m). Devant lui s'élèvent les montagnes Awata et Ashigara, ainsi qu'un sommet de la chaîne d'Aitaka.

Il a su rendre la puissance et la hauteur du sommet avec précision, la perspective étant rendue par les personnages au premier plan, et la beauté par les sommets noirs qui l'entourent. (Pour cette station, chez Hiroshige, le sommet échappe généralement au cadre. Mais cette trouvaille fut inventée par Hokusaï, dans une estampe en noir de la Mangwa.)

Dans la plaine, non loin des champs de riz, on aperçoit deux hérons et sur le chemin, un homme et deux femmes. Les femmes sont des voyageuses, et la route étant alors considérée comme dangereuse, un serviteur les accompagne, portant les bagages. Le motif du kimono de l'homme est inspiré par les deux premiers caractères du nom de Hiroshige.

Quoique permettant une comparaison grâce à la similitude du sujet traité (le mont Fuji) et même s'il a été peint à la même époque, le tableau d'Hokusai différe sur plusieurs points. Bien que présentant un angle de vue similaire sur le mont Fuji, la présentation de la montagne n'est pas la même. Hiroshige cherche d'abord à décrire des scènes de vie quotidienne, où effectivement le mont Fuji apparait de manière récurrente, mais au loin et comme un élément de décor poétique, lyrique, représentatif de la beauté des paysages japonais. Hokusai au contraire en fait un élément central, organique et cherche à l'étudier en lui-même en variant les contrepoints : matin, soir, pluie, orage, vent… allant jusqu'à en faire une centaine de versions différentes. La vision d'Hokusai est en quelque sorte plus proche de celle de Claude Monet lorsqu'il fera, par exemple, la série des Cathédrales de Rouen une soixantaine d'années plus tard. A ceci près qu'Hokusai apporte (sérénité du "dieu" Fuji contre éclair d'orage) presque toujours une sorte d'arrière-pensée épique, un style grandiose, à ce qu'il représente, même lorsqu'il s'agit de scènes "intimes" de la vie quotidienne ou de paysages - qu'Hiroshigue traite avec un sentiment plus humble, plus poétique et subtil. Hiroshige, pour prendre une analogie, est à Hokusai ce que Schubert est à Beethoven.

Utagawa Hiroshige Nuit de neige à Kambara
Utagawa Hiroshige Nuit de neige à Kambara

16e vue (15e étape) : Nuit de neige à Kambara

  • Yoko-ōban, 25,6x38,3 cm
  • Nishiki-e
  • Éditeur : Takeushi Magohachi
  • Environ 4e-5e année de l'ère Tenpō (1833-1834)

Ce tableau à la nuit tombante est tout le contraire du précédent : les montagnes, les arbres, les habitations, etc. tous les éléments sont représentés par une économie de couleurs, seules restent quelques lignes noires faisant apparaître les couches de neiges et par contraste, les formes qu'elles recouvrent.

Les seules touches colorées sont là pour représenter les personnages : à gauche un habitant du village et à droite deux voyageurs. Ils sont courbés comme pour se protéger du froid et des gros flocons que l'on voit tomber à l'arrière plan.

Proche du littoral, Kamabara connaît en réalité des températures relativement clémentes, et de ce fait, on considère que la neige qui recouvre tout le paysage n'est que le fruit de l'imagination d'Hiroshige, ce qui ne fait que prouver sa force quand il faut dépeindre les éléments naturels.

Tous ces éléments combinés donnent au final une grande intensité lyrique à l'ensemble.

Hiroshige - Matin clair d'hiver à Kameyama
Hiroshige - Matin clair d'hiver à Kameyama

47e vue (46e étape) : Matin clair d'hiver à Kameyama

  • Yoko-ōban, 25,3x28,2 cm
  • Nishiki-e
  • Éditeur : Takeushi Magohachi
  • Environ 4e-5e année de l'ère Tenpō (1833-1834)

Dans un paysage complètement recouvert par la neige, une caravane de voyageurs (au centre) est en train de gravir les flancs escarpés de la montagne pour se rendre au château fort de Kameyama (en haut, à droite), bâti en son sommet. C'est une forteresse militaire qui sert aussi de gîte pour les voyageurs. De nos jours, il ne reste que les ruines du donjon et un parc.

On sait qu'Hiroshige a visité ce lieu, mais c'était en été, par conséquent ce paysage a été crée a posteriori, à partir de ses souvenirs, de sa vision intérieure.

[modifier] Hiroshige éleve le kachō-ga comme un art à part entière

Hiroshige- Roseau sous la neige et canard sauvage
Hiroshige- Roseau sous la neige et canard sauvage

Roseau sous la neige et canard sauvage

  • O-tanzaku-ban, 38,3x17,7 cm
  • Nishiki-e
  • Éditeur : Inconnu
  • Environ 3e-5e année de l'ère Tenpō (1832-1834)

Le kachō-ga (l'art de représenter les fleurs et les oiseaux) a toujours été un des thèmes de l'ukiyo-e, mais le nombre d'estampes avait été restreint avant l'ère Tenpō (1830-1844). Ce n'est qu'au cours de cette ère que deux artistes (Hiroshige et Hokusai) ont vraiment élevé cette discipline au même rang que les bijin-ga ou les yakusa-e. Si Hokusai montrait de l'intérêt pour des représentations plus réalistes, Hiroshige préfèrait au contraire aborder les sujets de manière plus lyrique, plus dépouillée, allant à l'essentiel… un peu à la manière d'un haiku (dont il accompagnait généralement ses peintures d'oiseaux).

Le tableau ci-contre est précisément accompagné d'un haiku : « Le canard sauvage crie. Quand le vent souffle, la surface de l'eau se ride ». Ce poème, comme les autres qu'il a utilisés, n'est pas de lui. Outre ce tableau, Hiroshige a réalisé trois autres illustrations de poèmes sur les canards sauvages, symboles de fidélité.

De l'estampe se dégage une impression de froid glacial : le roseau courbé sous le poids de la neige, l'eau et le ciel semblent se confondre. Si le roseau est sommairement dessiné à la plume, l'oiseau est beaucoup plus détaillé, à l'exception du plumage de flanc (plumage d'hiver) où aucune couleur n'a été appliquée.

Ce style d'estampes est appelé baka-in en raison de la signature. En effet, en regardant attentivement, le carré rouge en bas à droite, on s'aperçoit qu'Hiroshige à signé d'un cerf shika (à gauche) et d'un cheval uma (à droite), ce qui peut aussi être lu « baka » (en combinant les deux signes) et qui signifie idiot.

[modifier] La série Neige, lune et fleurs

Pour voir chaque image séparément et en plein écran : [4], [5] et [6]

Hiroshige - Neige, lune et fleurs. En haut, à gauche : Vue de Naruto à Awa, en haut à droite : Clair de lune sur Kanazawa, en bas : Neige à Kisoji
Hiroshige - Neige, lune et fleurs. En haut, à gauche : Vue de Naruto à Awa, en haut à droite : Clair de lune sur Kanazawa, en bas : Neige à Kisoji

Vue de Naruto à Awa, Clair de lune sur Kanazawa et Neige à Kisoji

  • Oban, trois triptyques de trois panneaux chacun faisant respectivement 37,9x26 cm (Vue de Naruto à Awa), 38,3x26 cm (Clair de lune sur Kanazawa), 37,9x25,9 cm (Neige à Kisoji)
  • Nishiki-e
  • Éditeur : Okasawaka Taheiji
  • 4e année de l'ère Ansei (1857).

Le premier tableau a été peint au quatrième mois, le second tableau au septième mois et le troisième tableau au huitième mois de la quatrième année de l'ère Ansei (1857), soit pour le dernier, un an avant sa mort qui eut lieu le neuvième mois de la cinquième année de l'ère Ansei (1858).

Si les mots « neige » et « lune » du titre des triptyques s'expliquent facilement par les sujets traités, il n'en est pas de même pour le mot « fleurs » puisqu'elles n'apparaissent nulle part. Une explication serait les remous, l'écume de la Vue de Naruto et Awa qui formeraient des formes proches des fleurs. Bien entendu, il s'agit d'un résumé symbolique des éléments premiers auxquels Hiroshige était attaché pour les composantes de ses paysages : la montagne (la tortue terrestre - les formes arrondies du Kiso, mais aussi la mort universelle), la lune (l'inspiratrice céleste - la sérénité), et les "fleurs de la mer" (la naissance, le tourbillon de la vie, le printemps, associé toujours à la floraison, notamment des cerisiers au bord de la rivière Sumida).

Les trois estampes portent le même cachet, mais les titres sont écrits en divers caractères : Kisoji en semi-cursive, Kanazawa en idéogrammes de l'ère Ching et Naruto en cursive. Les trois étant dans l'esprit des trois symboles cités, les idéogrammes évoquant la solennité et sérénité de ce qui est éternel, la cursive, la rapidité, la souplesse et les métamorphoses constantes du vivant, et la semi-cursive la solidité quotidienne de la vie terrestre, de la vie "intermédiaire" (entre naissance et fin, la lune achevant son parcours à l'ouest) que le blanc (couleur de la mort) recouvre à terme inexorablement.

Pour le premier tableau (Vue de Naruto à Awa), si les montagnes sont relativement réalistes et ressemblent aux peintures européennes - elles restent cependant une allusion subtile à des peintres comme Mou K'i et Wou Chen -, il n'en est pas de même pour la description des eaux, beaucoup moins réalistes et nettement plus stylisées. Cela est sans doute dû au fait qu'Hiroshige n'a jamais vu ce paysage de ses propres yeux et l'aurait imaginé. Sans doute s'est-il aussi aidé d'un manuel de géographie de l'époque intitulé Lieux célèbres d'Awanokuni dont une illustration très proche de cette estampe représentait l'île de Hadakajima, ainsi que les îles Tobishima et Nakanose, elles-mêmes entourées de flots semblablement dessinés.

Le deuxième tableau (Clair de lune sur Kanazawa) reprend pour thème un paysage connu pour sa beauté. Kanazawa est un quartier de l'actuelle Yokohama et a souvent été peint par les artistes de l'ukiyo-e. Il est fort probable qu'étant près d'Edo, Hiroshige s'y soit rendu de nombreuses fois et connaisse bien l'endroit. D'autant qu'on y allait en pèlerinage.

La peinture est proche du style occidental. Avec une économie de moyen, Hiroshige a su retranscrire le clair de lune : la lune est un rond où aucune couleur n'a été appliquée, en haut le bleu du ciel s'estompe à hauteur de la lune, et juste au dessus des montagnes, sur la ligne d'horizon, la brume lointaine est figurée par un bleu violet.

Sur le troisième triptyque (Neige à Kisoji) ce qui frappe c'est :

  1. L'économie de couleur, les marges du tableau ne sont représentées que par le ciel sombre en haut et la rivière en bas. Le peintre n'a mis aucune marge à droite ou à gauche, montrant ainsi que les montagnes, comme le "chemin de la vie" qui les parcourt, s'étirent bien au delà du tableau.
  2. L'aspect massif des montagnes (formes évoquant des dos de tortue) qui prennent presque tout l'espace de l'estampe.


[modifier] La série Cent vues célèbres de sites d'Edo

Cent vues célèbres de sites d'Edo, 30e vue : Pruneraie à Kameido
Cent vues célèbres de sites d'Edo, 30e vue : Pruneraie à Kameido

Pruneraie à Kameido

  • Oban, 36,3x24,6 cm
  • Nishiki-e
  • Éditeur : Uoya Eikichi
  • 11e mois de la 4e année de l'ère Ansei (1857).

Cette estampe a servi de modèle à Vincent van Gogh. (pour de plus amples détails, voir le sous-paragraphe traitant de l'influence d'Hiroshige sur Van Gogh)

Tout le premier plan est occupé par un grand prunier, dont on ne voit qu'une partie. À l'arrière plan et à perte de vue, d'autres pruniers en fleurs. Au fond du décor se trouvent les petites silhouettes à peine esquissées des visiteurs venus contempler la beauté de la floraison. Ces ébauches de personnes viennent apporter le contrepoint nécessaire à l'arbre du premier plan et permettent de donner de la profondeur de champ.

Le tableau fait ressortir deux couleurs : le vert de l'herbe dans la partie inférieure et le rouge du ciel (la scène se passe sans doute au soleil levant ou couchant). Au mileu est insérée une bande presque blanche qui vient faire la transition entre le vert et le rouge et contraste avec le tronc très foncé du premier plan.

La pruneraie était située à Edo (Tōkyō), derrière le sanctuaire Kameido-Tenjin, célèbre pour ses glycines. Il se peut que l'arbre représenté soit celui qui était le plus célèbre d'Edo, le Garyūume.

De nos jours seules les pierres des ruines de l'ancienne villa « Pruneraie » viennent rappeler la splendeur passée du jardin qui fut progressivement laissé à l'abandon à la suite d'une inondation survenue en 1910.

Cent vues célèbres de sites d'Edo, 52ème vue : Le Pont Ōhashi et Atake sous une averse soudaine
Cent vues célèbres de sites d'Edo, 52ème vue : Le Pont Ōhashi et Atake sous une averse soudaine

Le pont Ōhashi et Atake sous une averse soudaine

  • Oban, 37,4x25,6 cm
  • Nishiki-e
  • Éditeur : Uoya Eikichi
  • 9e mois de la 4e année de l'ère Ansei (1857).

Tout comme la précédente, cette estampe a servi de modèle à Vincent van Gogh lorsqu'il a cherché à comprendre comment les peintres japonais travaillaient. (pour de plus amples détails, voir le sous-paragraphe traitant de l'influence d'Hiroshige sur Van Gogh)

Avec la suivante, il s'agit d'une des estampes les plus célèbres d'Hiroshige.

Le tableau tout entier représente un scène de pluie violente sur le pont Ōhashi, près d'Atake. Sur le pont des gens se pressent et se protègent de la pluie, un homme seul dans une barge sur la Sumida est trempé et au loin, sur la berge, les maisons sont perdues dans le gris et ne se distinguent presque plus.

On remarque deux lignes de force dans ce tableau : la berge au fond qui vient renforcer la profondeur de champ et qui, pour une ligne d'horizon, n'est étrangement pas horizontale et le pont qui lui aussi est incliné allant du bas gauche à la moitié droite du tableau. L'originalité réside ici dans la vue latérale du pont qui ne permet pas d'en percevoir le commencement ou la fin et donne l'impression d'étirement.

À l'aide de quelques artifices Hiroshige a su décrire avec précision le déchaînement des éléments naturels : la masse opaque des nuages en haut, les degradés de couleurs sous le pont, les maisons sur la berge noyées dans l'oscurité, les traits zébrant le tableau qui représentent l'intensité de la pluie.

Cent vues célèbres de sites d'Edo, 75e vue : Le Quartier des teinturiers de Kanda
Cent vues célèbres de sites d'Edo, 75e vue : Le Quartier des teinturiers de Kanda

Le Quartier des teinturiers de Kanda

  • Oban, 36,3x24,8 cm
  • Nishiki-e
  • Éditeur : Uoya Eikichi
  • 11e mois de la 4e année de l'ère Ansei (1857).

Avec la précédente, il s'agit d'une des estampes les plus célèbres d'Hiroshige.

À Edo, à l'époque où elle fut réalisée (1857), certains quartiers s'étaient regroupés autour d'un métier en particulier et portaient un nom directement en rapport avec la profession. Ainsi, ce tableau représente le quartier des teinturiers de Kanda. Teinture se dit konya en japonais et le quartier portait le nom de konyamachi.

Une fois le tissu teinté, il devait ensuite être lavé et séché. C'est ce qui est visible dans cette estampe : les morceaux de tissus sont étendus sur des séchoirs et volent au vent. Hiroshige exploite graphiquement ce premier plan avec une grande habileté, en le faisant contraster avec la douce sérénité de la montagne sacrée dans le lointain.

Il n'était pas rare que le peintre s'amuse à glisser son nom dans un élément du décor d'une estampe, ce qui est le cas ici puisque les étoffes sont imprimées des deux caractère « e » et « hiro » pour Hiroshige.

À l'arrière plan apparaissent deux éléments importants : le château d'Edo où Hiroshige fut jadis rattaché en qualité de pompier et tout au loin, le mont Fuji.

[modifier] L'influence d'Hiroshige sur les peintres occidentaux

À partir des années 1860, l’Extrême Orient, et en particulier le Japon, devient une source d'inspiration importante (couleurs, perspectives, composition, sujets, etc.) pour le monde occidental et aura pour effet de renouveler en profondeur les Arts et l'architecture des pays européens, période du japonisme. Avec l’ouverture de Meiji, les relations d’échange s’intensifient avec le Japon. Un exemple souvent cité et d'importance est la participation du Japon aux expositions universelles de 1862 à Londres, et de 1867, 1878 et 1889 à Paris. Dans le pavillon japonais, les visiteurs découvrent de nombreux objets d'art, par ailleurs mis en vente à la fin des expositions. Le grand public s'y intéresse rapidement.

Mais c'est par le biais des collectionneurs privés (Samuel Bing, Félix Bracquemond et le japonais Hayashi Tadamasa), de la littérature (Edmond de Goncourt a écrit deux monographies sur des peintres japonais : Outamaro en 1891, Hokusai en 1896 et en avait prévu onze autres avant sa mort, dont une sur Hiroshige) et des « dîners japonais » (réunissant Edgar Degas, Louis Gonse, Edmond de Goncourt, Félix Bracquemond, etc.) que les peintres vont connaître les œuvres japonaises, parmi lesquelles figurent (entre autres) les estampes des peintres de l’ukiyo-e.

De nombreux peintres vont y trouver une source d'inspiration, confortant leur vision propre (Camille Pissarro : « Les artistes japonais me confirment dans notre parti pris ») ou modifiant leur vision de la peinture. Vont ainsi être influencé l'américain Whistler (La Princesse du Pays de la Porcelaine), Henri de Toulouse-Lautrec (ses affiches, sa signature), Paul Cézanne (La montagne Sainte-Victoire), Paul Gauguin (la série sur les Tahitiennes), etc.

Mais ce sera aussi le cas de deux peintres de premier ordre, eux-mêmes collectionneurs de centaines d'estampes : Vincent Van Gogh, l'artiste qui a été le plus influencé par le Japon et Claude Monet.

[modifier] L'influence sur Vincent van Gogh

À gauche : Hiroshige, Pruneraie à Kameido,à droite : Van Gogh, Japonaiserie : pruniers en fleurs
À gauche : Hiroshige, Pruneraie à Kameido,
à droite : Van Gogh, Japonaiserie : pruniers en fleurs
À gauche : Hiroshige, Le Pont Ōhashi et Atake sous une averse soudaine,à droite : Van Gogh, Japonaiserie : pont sous la pluie
À gauche : Hiroshige, Le Pont Ōhashi et Atake sous une averse soudaine,
à droite : Van Gogh, Japonaiserie : pont sous la pluie

Vincent Van Gogh est très certainement le peintre européen le plus influencé par la peinture japonaise. En témoignent quelques portraits (Agostina Segatori au café du Tambourin, les portraits du père Tanguy, l'italienne : néanmoins accommodés à la mode occidentale), mais aussi ses Iris très fortement inspirés d'Hokusai (Iris et cigale de 1832 par exemple), ses arbres, etc.

Amateur d'estampes, il en a collectionné plusieurs centaines, dont douze sont d'Hiroshige.

Au cours de l'été 1887, il a retranscrit littéralement trois estampes japonaises :

  • La Courtisane d'après Kesai Eisen (1790-1848). À proprement parler, la reproduction ne représente que la femme sur fond ocre, Van Gogh ayant rajouté l'épaisse bordure décorée d'un étang orné de nénuphars et de tiges de bambou. Il avait trouvé l'image en couverture d'un numéro du magazine thématique Paris Illustré en 1886 (numéro préparé par Hayashi Tadamasa).
  • Le Prunier en fleurs et Un pont sous la pluie d'après Utagawa Hiroshige (voir reproductions ci-contre), qu'il possédait.

Admiratif et vantant la dextérité des artistes japonais, il écrivit à son frère Théo : « Leur travail est aussi simple que de respirer et ils font une figure en quelques traits sûrs avec la même aisance, comme si c'était aussi simple que de boutonner son gilet ».

C'est que dans la bonne société, l'effet de mode japonisante amenait à se vêtir de kimonos, installer des paravents dans les salons, s'initier à la cérémonie du thé.

Van Gogh va beaucoup plus loin. Durant son séjour à Anvers, il décore sa chambre dans le style de l'ukiyo-e, à Paris il va au magasin du collectionneur Samuel Bing, et présente au printemps 1887, au café du Tambourin à Montmartre, une exposition d'estampes japonaises collectionnées avec son frère Théo.

L'imitation des trois œuvres sus-citées avait pour but de s'imprégner du style japonais. À partir de ce moment là, Van Gogh va apposer sur ses toiles des couleurs souvent non mélangées et surtout verra dans les estampes une justification à sa propre utilisation du noir, quasi bannie par les autres peintres impressionnistes. Il réintroduira la valeur propre du trait pour délimiter des plans ou des objets, et leur donner de la vigueur. Outre les sujets, il s'inspirera aussi de l'utilisation de l'espace par les peintres japonais, de la vivacité qu'impriment au tableau les courbes et les torsades (Cfs. Les tourbillons de Naruto, les torsions des pins et des arbres en général, des nuages, voire des surgissement rocheux, ces "veines du Dragon" sous-tendant les composition d'Hokusai comme la fameuse Vague), de la dialectique entre ici et là-bas (particulièrement exploitée par Hiroshige avec ses premiers plan qui repoussent les lointains) et de la perspective aérienne orientale, issues, pour les peintres japonais, de l'esprit du Zen.

[modifier] L'influence sur Claude Monet

À gauche, Hiroshige : Numazu, crépuscule,à droite, Claude Monet : Peupliers sur l'Epte (1891)
À gauche, Hiroshige : Numazu, crépuscule,
à droite, Claude Monet : Peupliers sur l'Epte (1891)

Il est averé que Claude Monet a largement été inspiré par les peintres japonais : il participait aux « dîners japonais » organisés par Samuel Bing, parlant de l'Art japonais avec d'autres peintres et écrivains, cotoyait Hayashi Tadamasa, se rendait à la galerie Durand-Ruel à Paris dans les années 1890… Et ses tableaux s'en ressentent. Une des preuves les plus flagrantes est certainement le portrait de sa première femme (Camille Doncieux) habillée en japonaise (voir illustration), mais d'une manière générale il a repris aux artistes japonais certains jeux de couleurs, certains thèmes, le mouvement, le cadrage.

À gauche : Hiroshige, À l'intérieur du sanctuaire Kameido-Tenjin (à Tokyo),à droite, en bas : Hokusai Sous le pont Mannen à Fukagawa,à droite, en haut : Claude Monet Le Bassin aux nymphéas, harmonie verte
À gauche : Hiroshige, À l'intérieur du sanctuaire Kameido-Tenjin (à Tokyo),
à droite, en bas : Hokusai Sous le pont Mannen à Fukagawa,
à droite, en haut : Claude Monet Le Bassin aux nymphéas, harmonie verte

En revanche, il est douteux qu'il ait repris directement l'idée (idée facile, pourtant largement répandue) de ses séries (cathédrale de Rouen, meules de foin, peupliers, la Tamise à Londres, Venise, etc.) aux peintres japonais, pour la raison que son ambition était autre . Là où les japonais représentent un endroit par différents points de vue (voir les Trente-six vues du mont Fuji d'Hokusai par exemple), à des moments différents, et font jouer les heures de la journée, les éléments naturels (neige, pluie, vent, orage), Monet préfère peindre un lieu sous le même angle (ou presque), à la même heure, se concentrant sur la manière de représenter l'atmosphère, l'ambiance, la lumière et de retranscrire les émotions fugaces ressenties au moment de la peinture (même si certaines lui ont pris des semaines, l'émotion étant retranscrite a posteriori).

Monet a été influencé par les peintres japonais d'une manière générale, certes, mais ses deux références furent essentiellement Hokusai et Hiroshige. Si on ressent l'influence d'Hokusai pour les nénuphars, si celle d'Hiroshige ressort sur les représentations de pont (le modèle « physique » étant le pont japonais que Monet s'était installé dans son jardin de Giverny) ou de peupliers (voir illustrations comparatives), ce n'est pas à ces proximités de composition anecdotiques qu'il faut s'arrêter : plus globalement, c'est le type d'attention que les peintres japonais apportaient au monde, aux paysages, aux végétaux, aux personnes, c'est le souci du climat psychologique, de la variabilité de la vision suivant le moment et l'humeur, qui l'ont imprégné. Monet, (ou Whistler) et les Impressionnistes en général, sont, à travers la leçon des peintres d'estampes tels qu'Hiroshigé, à travers l'ukiyo-e, devenus particulièrement sensibles à ce que la vision du présent changeant du monde reflétait de l'être humain, dans des moments précieux, irreproductibles, mais fixables par l'art. Ils ont appris des images japonaises qu'il pouvait exister un mode d'expression capable de renouveler leur peinture, cette "vision du monde flottant", un mode d'expression à même de traduire et de fixer, paradoxalement, d'une façon neuve les subtilités des variations de l'âme humaine.

[modifier] Œuvres

Recueils d'estampes de paysages

Estampes représentant des personnes

Triptyques

Trois triptyques intitulés Vue de Naruto à Awa (Awa no Naruto Fukei), Clair de lune sur Kanazawa (Kanazawa Ha'ssho Yakei) et Neige à Kisoji (Kiso-ji no Yama Kawa).

Estampes sur la nature

Estampes historiques

[modifier] Notes et références

  1. 5 400 œuvres est le nombre d'estampes en couleurs et de tous formats généralement admis, mais certains experts (Minoru Uchida notamment) avancent un chiffre qui pourrait atteindre 8 000 en tout. Aucun catalogue exhaustif n'ayant été dressé, il est très difficile de vérifier ce chiffre.
  2. Les éléments relatifs à sa biographie avant son entrée à l'atelier de Toyohiro sont à prendre avec précaution, les diverses biographies disponibles présentant des versions légèrement différentes.
  3. L'ensemble des œuvres reproduites sont actuellement conservées au Riccar Art Museum de Tokyo.
  4. Il existe de nombreuses (ré)éditions de cet ouvrage, les estampes décrites ci-dessous sont celles de l'édition originale (édition Hōeidō de 1833-1834).
  • Pour le catalogage des recueils d'estampes : [7] (section « prints »).
  • Pour la biographie : [8] (source principale) et [9] (source secondaire)
  • Pour l'analyse des œuvres : Gabriele Fahr-Becker, L'Estampe japonaise, éditions Taschen, 2004, broché, illustrations couleurs, ISBN 3822820571
  • Pour l'analyse de l'influence d'Hiroshige sur Vincent van Gogh et Claude Monet :
    • Rainer Metzger et Ingo F. Walther, Van Gogh, éditions Taschen, 1998, broché, illustrations couleurs, ISBN 3822881171
    • Daniel Wildenstein, Monet, éditions Taschen, broché, illustrations couleurs, ISBN 3822816914

[modifier] Bibliographie

[modifier] Voir aussi

commons:Accueil

Wikimedia Commons propose des documents multimédia libres sur Hiroshige.

Articles connexes

Liens externes

Biographie du peintre sur le site de la galerie Tanakaya (à Paris) spécialisée dans la vente d'antiquités et d'estampes du Japon, notamment ukiyo-e
  • (en) http://www.hiroshige.org.uk/
    Site anglais intégralement dédié au peintre. De loin le site le plus exhaustif sur lui : il contient des centaines d'estampes de grande qualité, une biographie, des analyses d'œuvres par des spécialistes du peintre, des comparaisons entre les différentes versions, etc.
  • (en) http://www.ibiblio.org
    Présentation d'Hiroshige par le WebMuseum
  • (ja) http://www.humi.keio.ac.jp
Site japonais sur les estampes de la Route du Tōkaidō, réalisé par la Keio University
La version du 26 juillet 2005 de cet article a été reconnue comme « article de qualité » (comparer avec la version actuelle).
Pour toute information complémentaire, consulter sa page de discussion et le vote l’ayant promu.