Féminisme radical

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Le féminisme radical est un courant du féminisme qui apparaît à la fin des années 1960 et qui voit en l'oppression des femmes au bénéfice des hommes (ou patriarcat) le fondement du système de pouvoir sur lequel les relations humaines dans la société sont organisées. Le terme d’oppression est marxiste, il signifie que le lien social est organisé de manière centrale par un rapport d’exploitation ou de servage, c’est à dire d’appropriation de la force de travail du subalterne par le dominant (exploitation au sens capitaliste) voire d’appropriation du subalterne comme unité de productrice de force de travail (esclavage). Les patriarcats sont des systèmes politiques d'organisation de l'appropriation collective et individuelle des femmes par les hommes : ceci constitue un des rapports sociaux de classe, avec le rapport social dit de classe (capitalisme), le rapport social de race (colonialisme et post colonialisme). En France encore aujourd'hui, on voit les rouages résistants du patriarcat. En effet, 80% du noyau dur du travail ménager est effectué par les femmes au bénéfice des hommes, ce qui constitue le pilier de l'économie domestique dont parle Christine Delphy dans L'Économie politique du patriarcat. La division socio-sexuée du travail touche bien sûr le marché du travail puisqu'il s'agit dans un système patriarcal de produire un monopole masculin des ressources et des moyens de production (98 % des propriétaires de moyens de production dans le monde sont des hommes alors que 70% de la production est assurée par des femmes). Ainsi, en France donc, les femmes connaissent le plafond de verre et la ségrégation dans des filières peu rentables (littéraires et sanitaires) alors que les hommes accèdent aux filières à haut rendement[1] ; les femmes constituent l'écrasante majorité du sous-emploi, c'est à dire des temps partiels forcés (83 %), des CDD (60%), elles sont 80 % des salariés payés au-dessous du SMIC[2].

Le féminisme radical se démarque des mouvements féministes qui visent à l'amélioration de la condition féminine par des aménagements de législation (réformisme) sans mettre en cause le système patriarcal.

Avec d'autres, ce courant cherche à contester ce modèle en rejetant les rôles sexuels archétypaux et de l'oppression masculine. Il accompagne la libération sexuelle et le mouvement de libération des femmes aux États-Unis, en Angleterre, au Canada et en France. Le terme « militant féministe » est un terme tenu pour péjoratif, souvent associé avec le féminisme radical. Généralement, le féminisme radical est perçu en dehors des adhérents comme une forme de communautarisme identitaire. Ce qui est perçu comme tel est en fait une option politique prise par les militants des droits civils noirs américains quand ils se sont rendu compte que leurs revendications étaient trahies et détournées par leurs comilitants blancs pourtant bien intentionnés. Ils ont fait le choix de la non mixité de la lutte en considérant radicalement l'antagonisme de classe qu'il existe entre les individus des deux bords de la lutte.

Le terme remonte au moins à 1969 avec la naissance du FLFQ (Front de libération des femmes du Québec) [1]

Sommaire

[modifier] Spécificité

Dans la mouvance du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, le féminisme radical poursuit la critique de la domination masculine et des rôles féminins, à travers une critique du patriarcat et une remise en cause des contraintes liées au genre. Ce courant a contribué à renouveler l'analyse de la domination masculine en sociologie, dans le droit et en théorie politique. Il a mis en évidence le caractère sexiste de la société, tout en proposant des moyens d'y lutter. La ségrégation sociale selon les sexes est vue non pas comme un fait de nature mais comme un fait politique puisqu'elle sert une division du travail qui n'a rien de naturaliste. En effet, comme le montre Paola Tabet dans La Construction sociale de l'inégalité des sexes, la division du travail entre les sexes ne se fait pas selon la difficulté des tâches (les femmes selon les sociétés font toutes les tâches, y compris la chasse) ou selon la division intérieur / extérieur (les femmes parcourent des kilomètres pour ravitailler en nourriture ou en eau le groupe). La division suit une hiérarchie typique des systèmes d'oppression : les moyens de production, la connaissance pour la fabrication des armes et des outils, et les outils performants et les armes sont le monopole des hommes, les femmes quant à elles, sont sous-équipées et désarmées, obligées de travailler à mains nues ou avec des outils rudimentaires, que les hommes leur confectionnent la plupart du temps. Il ne s'agit pas d'une division complémentaire comme la commentent les anthropologues et sociologues mais bien d'une mise sous dépendance économique et physique d'un groupe par un autre. Ajoutée à cela, l'appropriation des produits des femmes par les hommes constitue la pierre d'angle d'un système d'oppression globale.

Notamment, les féministes radicales rejettent le marxisme comme base de l'analyse de la société, car le marxisme présente les différences de classe comme le moteur fondamental de l'inégalité et de l'évolution de la société tout en maintenant que la division du travail entre les sexes est naturelle et ainsi en niant le bénéfice masculin à l'oppression des femmes et à la division sexuée du travail.

L’institution du mariage est souvent vue comme la pérennisation des inégalités (non-rétribution du travail de l’épouse, services sexuels, répartition sexuée des tâches…). Le féminisme radical valorise la solidarité entre femmes et les réunions et groupes non-mixtes. Il peut aller jusqu'au séparatisme, au sein de communautés de femmes parfois lesbiennes issu de la théorisation radicale de Monique Wittig.

Les féministes radicales ont mené une dénonciation du viol et des agressions sexuelles, mais aussi une critique de la prostitution, de la pornographie et des formes de sexualité vues comme dégradant les femmes, comme le sado-masochisme. Cette dénonciation n'est pas un puritanisme, elle est une conscience de l'enjeu politique des représentations de "la sexualité" dans un patriarcat. Comme le montre parfaitement Catharine MacKinnon, dans son recueil d'articles Le Féminisme irréductible, la pornographie est une représentation de la chosification et de l'humiliation des femmes dont procède la sexualité patriarcale. Avec Andrea Dworkin, elle a proposé les lois sur le harcèlement sexuel, sanctionnant ainsi le contexte de sexualisation auquel sont soumises les femmes pour les contrôler et les briser mentalement. Des féministes « pro-sexe » ont souvent critiqué l'intolérance de certaines féministes radicales (Isabelle Alonso, Suzanne Képès, Marie-Victoire Louis) en ce qui concerne la sexualité (pornographie féministe, féminité masculine des lesbiennes butches, BDSM…).

Le féminisme radical est souvent antireligieux dans la mesure où il rejette ce qui lui semble être le patriarcat. Par contre, il y existe des groupes de féministes radicales qui prônent le néopaganisme, la sorcellerie, le culte de Diane, Isis et Lilith, etc.

Le féminisme radical s'est nourri de l'apport de nombreuses intellectuelles. Il a aussi influencé en France le féminisme matérialiste de la revue française Questions féministes, qui est en partie à l'origine du mouvement queer. Au Québec, il a insufflé la revue Amazones d'Hier, Lesbiennes d'Aujourd'hui. Les féministes radicales reprochent généralement aux théoriciennes queer d'avoir repris leur constructivisme social en le vidant de son engagement féministe.

[modifier] Principales représentantes

Le féminisme radical étant un courant influent mais assez informel, sont citées aussi bien des féministes l'ayant théorisé que de grandes influences ou des féministes qui en sont particulièrement redevables.

[modifier] Dans le monde anglo-saxon

[modifier] Dans le monde francophone

[modifier] Bibliographie

  • Barbara Crow (éd.), Radical Feminism, a Documentary History, New York University Press, 2000.
  • Delphy Christine, L’ennemi principal 1 : L’Économie politique du patriarcat, Paris : Editions Syllepse, coll. « Nouvelles Questions Féministes », 1998.
  • Delphy Christine, L’ennemi principal 2 : Penser le genre, Paris : Editions Syllepse, coll. « Nouvelles Questions Féministes », 2001.
  • Ferrand Michèle, Féminin-masculin, Paris, La Découverte, Repères, n° 389.
  • Guillaumin Colette, Sexe Race et Pratique du pouvoir. L’idée de nature, Paris : Côté femme, coll. «  Recherche », 1992,.
  • Guillaumin Colette, L’idéologie raciste, genèse et langage actuel, Paris, Ed. Gallimard, coll. Folio essais, 2002.
  • Mackinnon Catharine, Le féminisme irréductible, conférences sur la vie et le droit, trad. de l'américain par Catherine Albertini, Michèle Idels, Jacqueline Lahana [et al.], préf. de Noëlle Lenoir, traduction de : Feminism unmodified : discourses on life and law, Des femmes-A. Fouque, 2005.
  • Mathieu Nicole-Claude, L’anatomie politique : catégorisations et idéologies du sexe, Paris : Côté femme, coll. « Recherche », 1991.
  • Mathieu Nicole-Claude, L’arraisonnement des femmes, essais en anthropologie des sexes, édition de l’EHESS, (textes réunis par), 1985
  • Tabet Paola, La construction sociale de l’inégalité des sexes. Des outils et des corps, Paris : l’Harmattan, coll. « Bibliothèque du féminisme », 1998.
  • Tabet Paola, La grande arnaque, sexualité des femmes et échange économico-sexuel, Paris : L’ Harmattan, coll. « Bibliothèque du féminisme », 2004.
  • Dictionnaire critique du féminisme, coordonné par Helena Hirata, Françoise Laborie, Hélène Le Doaré, Danièle Senotier, Presses universitaires de France, 2004.
deuxième édition augmentée

[modifier] Sources et notes

  1. Michèle Ferrand, Féminin Masculin, La Découverte, 2004
  2. Margaret Maruani, Travail et emploi des femmes, La Découverte, 2006


[modifier] Voir aussi

[modifier] Liens externes