Condition féminine dans la société victorienne

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1871 : un contraste saisissant entre l'apparence d'une jeune femme de la bonne société et celle d'une laitière londonienne
1871 : un contraste saisissant entre l'apparence d'une jeune femme de la bonne société et celle d'une laitière londonienne

La condition féminine dans la société victorienne constitue, pour de nombreux historiens, une illustration du paradoxe qui existait alors entre, d'un côté, la puissance et la richesse de la nation britannique du XIXe siècle et, de l'autre, la misère sociale qui prédominait dans le pays. Au cours de cette période coïncidant avec le règne de la Reine Victoria (18371901), le statut de la femme s'est compliqué du fait d'une conception à la fois singulière et très répandue de ce que devait être l'« idéal féminin ». Sur le plan juridique, les droits de la femme mariée étaient similaires à ceux de l'enfant mineur : elle n'avait ni le droit de vote, ni celui de porter plainte, ni même celui de posséder des biens propres. Qui plus est, la femme était en quelque sorte désincarnée : son corps, perçu comme un temple abritant une âme pure et innocente, ne devait pas être « souillé », que cela soit par des artifices tels que le maquillage ou par les plaisirs de la chair. Cantonnée dans un rôle de mère et de maîtresse de maison, la femme du début du XIXe siècle au Royaume-Uni n'avait ni le droit d'occuper un emploi (hormis dans l'enseignement), ni celui de posséder un compte bancaire de dépôt ou d'épargne. En résumé, si la femme victorienne devait être traitée comme une sainte, elle n'en était pas moins dépourvue de toute capacité juridique. Diverses réformes mises en œuvre au cours du siècle permirent toutefois de poser les premiers jalons de l'évolution vers une émancipation de la condition féminine.

Sommaire

[modifier] Les différents archétypes du féminin

[modifier] Capacité juridique limitée pour les femmes mariées

Sur le plan juridique, la femme mariée jouissait de droits similaires à ceux de l'enfant mineur. La loi considérait le couple comme étant une seule et même personne morale. L'époux était responsable de sa femme et avait l'obligation légale de la protéger. En contrepartie, la loi attendait de la femme qu'elle prête obéissance à son mari. Les biens apportés par une femme lors de son mariage devenaient la propriété de l'époux, même en cas de divorce. Le revenu de la femme revenait de facto dans sa totalité à son époux, de même que la garde des enfants était automatiquement confiée au père, en cas de séparation du couple. En pareil cas, le père avait le droit de refuser d'autoriser tout contact entre la mère et ses enfants. L'épouse n'était pas habilitée à conclure elle-même quelque contrat que ce fût : pour ce faire, elle devait obtenir l'accord de son mari. En revanche, la femme mariée ne pouvait pas être condamnée pour certaines infractions tels que le vol ou le cambriolage, si elle agissait sur ordre de son mari. De même, il était impossible de poursuivre une épouse pour dissimulation ou vol commis au détriment de son mari, puisque le couple était juridiquement considéré comme une entité indivisible. Même si les droits de la femme mariée étaient très limités, les dires selon lesquels la femme était la « propriété » de son époux constituent une exagération grossière : le meurtre d'une femme par son mari était passible de la peine de mort, au même titre que tout assassinat, alors que la loi ne sanctionnait pas un propriétaire détruisant lui-même ses biens propres. Aux yeux de la loi, les crimes et délits perpétrés sur des personnes — femmes ou hommes — étaient réprimés beaucoup plus sévèrement que les exactions commises sur les biens matériels. Par ailleurs, en cas de danger, les femmes devaient être sauvées avant les hommes, ce qui est également en contradiction avec leur supposé statut de « propriété ».

[modifier] Les femmes dans leur rôle de maîtresses de maison

Couverture du guide Mrs Beeton's Book of Household Management
Couverture du guide Mrs Beeton's Book of Household Management

Le rôle de la maîtresse de maison de l'époque victorienne (Household General en anglais) a été décrit en pratique en 1861 par Isabella Beeton, auteur d'un guide de la maîtresse de maison : Mrs Beeton's Book of Household Management. Dans cet ouvrage, elle explique que la maîtresse de maison peut être comparée au commandant d'une armée ou à un chef d'entreprise. Pour faire en sorte que sa maison soit respectable et assurer à sa famille bonheur, confort et bien-être, elle doit accomplir ses devoirs avec intelligence et minutie. Ainsi, elle doit savoir organiser les tâches et les déléguer à ses domestiques, qu'elle doit être capable d'instruire, ce qui n'est pas une mission facile dans la mesure où nombre d'entre eux ne sont pas dignes de confiance (sic). On attend de la maîtresse de maison qu'elle organise des réceptions et des dîners pour épauler la bonne réputation sociale de son époux et lui permettre de rencontrer de nouvelles personnes afin d'établir des relations d'affaires prospères. Parallèlement, la maîtresse de maison doit aussi veiller à consacrer du temps à ses enfants, ainsi qu'à l'enrichissement de sa culture personnelle et de sa connaissance générale du monde. Parmi les autres devoirs décrits par Mrs Beaton, celui de tenir le rôle de « garde-malade » auprès des membres de la famille qui en ont besoin, vient en bonne place. Ceci requiert de la part de la femme un caractère avenant, ainsi que de la compassion et de l'empathie envers ceux qui souffrent, des dons de dévouement et de tempérance, et une bonne aptitude à maintenir une hygiène et un ordre rigoureux : toutes qualités qu'une femme digne de ce nom se devait de posséder dans la société britannique du XIXe siècle. La femme de l'époque victorienne devait aussi s'occuper de ses parents en cas de maladie, même si, par ce fait, elle se retrouvait à porter moins d'attention à sa personne. Une relation toute particulière existait en outre entre les femmes et leurs frères. Une sœur se devait de traiter ses frères avec la même diligence dont elle userait pour traiter son futur mari. Elle était dépendante de ses frères puisque ceux-ci lui procureraient l'affection et le support nécessaires s'il advenait que son mari la maltraitât ou qu'elle ne se mariât jamais. Qui plus est, il était très facile de défaire une réputation, mais autrement plus difficile de la faire ou la refaire. Si un membre d'une famille agissait de façon socialement inappropriée, ses actes engendraient des répercussions sur la famille dans son ensemble.

La bonne longueur pour les jupes des petites filles selon leur âge, illustration issue de la revue Harper's Bazaar, 1868
La bonne longueur pour les jupes des petites filles selon leur âge, illustration issue de la revue Harper's Bazaar, 1868

[modifier] La pureté du corps féminin

Le corps féminin était perçu comme pur et n'inspirait aucun dégoût, hormis dans ses périodes de menstruation. Il n'était pas de bon ton que la femme portât du maquillage ou quelque autre accessoire destiné à l'embellir, de même que des vêtements dévoilant la peau, des bas ou tout autre type de sous-vêtement. D'aucuns prétendent que ceci s'explique du fait que, la femme étant considérée comme la « propriété » de son époux, elle ne devait rien montrer de son corps aux autres hommes. Toutefois, il n'était pas mieux vu que les hommes fissent usage de maquillage, de vêtements suggestifs ou de sous-vêtements, ceci entrant dans le cadre global des valeurs morales répressives de l'époque, qui plaçaient femmes et hommes à la même enseigne. Les restrictions eu égard à ce qui était considéré comme contraire aux bonnes mœurs étaient nombreuses : ainsi, il était moralement choquant de prononcer le mot « jambe » en présence de personnes du sexe opposé, ou encore il était obligatoire, si l'on souhaitait se baigner à la plage sans contrevenir aux règles de pudeur, d'utiliser des cabines de bain. Ces restrictions s'appliquaient de manière égale aux deux sexes.

[modifier] Les femmes et la sexualité

The Outcast, Richard Redgrave, 1851 : un père chasse de la maison sa fille, portant dans ses bras son enfant illégitime
The Outcast, Richard Redgrave, 1851 : un père chasse de la maison sa fille, portant dans ses bras son enfant illégitime

À l'époque victorienne, on considérait la prostitution comme un aléa dévolu aux femmes qui avaient « perdu leur destinée en chemin », leur âme devenant « impure » parce qu'elles avaient, d'une manière ou d'une autre, enfreint le code de conduite seyant à la femme convenable. Il n'était pas rare d'entendre de la part de ministres du culte des allégations selon lesquelles toute femme contrevenant aux souhaits de son époux était exposée au risque de tomber dans la prostitution, la logique sous-jacente à ce discours étant que les hommes mettraient leur femme à la porte si elle se révélait avoir commis un quelconque acte la rendant impure. D'ailleurs, le seul fait pour une femme d'être impure aux yeux de son mari constituait une raison suffisante pour que celui-ci soit autorisé à demander le divorce. En pareil cas, la femme se retrouverait à la rue, contrainte de se vendre pour subvenir à ses besoins. Cette perception des choses est demeurée commune jusque dans le courant du XXe siècle. En revanche, il était socialement acceptable pour un homme de fréquenter des prostituées. Le dogme social qui pesait sur la femme n'était pas applicable à l'homme car, de fait, on tenait pour naturelle sa propension à rechercher du plaisir avec des femmes autres que la sienne: la femme, qui ne jouissait d'aucun droit l'autorisant à demander le divorce, n'avait pas d'autre choix que celui d'accepter cette situation.

[modifier] Les femmes et les inégalités en matière d'éducation

La Gouvernante, Rebecca Solomon, 1854
La Gouvernante, Rebecca Solomon, 1854

Concernant l'éducation à dispenser aux femmes, on considérait qu'il n'était pas nécessaire de leur donner accès à l'instruction de type classique, scientifique et commercial reçue par les hommes. L'accent étant mis sur l'apprentissage du rôle de mère et de maîtresse de maison, certaines matières — notamment l'histoire, la géographie et la littérature — étaient couramment enseignées aux femmes, dans la mesure où l'on estimait que des connaissances dans ces domaines leur seraient utiles pour épauler la vie sociale de leurs enfants et de leur mari. En revanche, d'autres matières, tel le latin et le grec, étaient réputées inutiles dans leur cursus. Les femmes désirant étudier le droit, la physique, l'ingénierie, les sciences ou les arts étaient généralement l'objet de sarcasmes et de dédain. Les études universitaires étaient tenues pour inutiles dans le parcours des femmes, et l'on disait même que le fait d'étudier n'était pas dans leur nature, voire pourrait les rendre malades. Elles devaient se cantonner plus ou moins à un rôle d'« ornement social » auprès de leur époux, à qui elles devaient obéissance, la soumission étant considérée comme une qualité primordiale de la femme.

[modifier] Tentatives de réformes

[modifier] Réforme des lois sur le divorce

Le XIXe siècle fut le théâtre de changements importants en matière de condition féminine, en particulier via des réformes portant sur les lois relatives au mariage et sur le statut juridique des femmes. La situation d'octroi systématique de la garde des enfants au père et d'absence totale de droits pour la mère en cas de séparation du couple, se mit à évoluer progressivement à partir de 1839, avec une loi sur la garde des jeunes enfants (Custody of Infants Act), grâce à laquelle les mères « de bonne réputation » (autrement dit, n'ayant pas commis l'adultère) purent réclamer la garde de leurs enfants en bas âge (jusqu'à 7 ans) puis, en 1857, avec la loi sur les effets matrimoniaux (Matrimonial Causes Act), qui permit aux femmes de demander le divorce dans certains cas bien précis. Ainsi, pour obtenir le divorce, il suffisait que l'homme prouvât l'infidélité de son épouse, tandis qu'une femme devait prouver que son mari avait commis non seulement un adultère, mais aussi un acte d'inceste, de bigamie, de cruauté ou de désertion. En 1873, la loi sur la garde des jeunes enfants (Custody of Infants Act) fut amendée pour permettre l'octroi à toutes les femmes (y compris adultères) de la garde de leurs enfants jusqu'à 16 ans. À partir de 1878, un amendement de la loi sur les effets matrimoniaux (Matrimonial Causes Act) permit aux femmes de demander le divorce pour cause de maltraitance de la part de leur époux, et de réclamer la garde des enfants pour le même motif. Les magistrats furent en outre autorisés à mettre sous protection les femmes dont l'époux avait été condamné pour voies de fait graves. En 1884, la loi sur les droits de propriété des femmes mariées (Married Women's Property Act) permit aux épouses d'acquérir des droits identiques à ceux des femmes non mariées et, ainsi, de conserver leurs droits sur les propriétés personnelles qu'elles avaient acquises avant et au cours de leur mariage : la femme devenait ainsi une entité légale distincte de son mari, financièrement parlant. En 1886, la loi sur la tutelle des jeunes enfants (Guardianship of Infants Act) permit à la femme de devenir l'unique tuteur légal de ses enfants en cas de décès de son époux.

[modifier] Réforme des lois sur la prostitution

La condition des prostituées — et des femmes en général, comme cela fut démontré par la suite — empira suite à la loi sur la prévention des maladies contagieuses (First Contagious Diseases Prevention Act) de 1864. Dans les villes à forte concentration militaire, les femmes suspectées de prostitution devaient subir des examens gynécologiques réguliers obligatoires. Si elles refusaient de s'y plier, elles étaient emprisonnées sur le champ et, si après examen, elles s'avéraient porteuses d'une maladie sexuellement transmissible, elles étaient confinées à l'hôpital jusqu'à leur guérison. Cette loi était appliquée uniquement aux femmes car les médecins militaires pensaient que ce type d'examen « honteux » pouvait porter atteinte à l'estime de soi des hommes, autre indication de la duplicité morale de la société victorienne. Dans la mesure où le statut de prostituée d'une femme était laissé à l'appréciation des officiers de police, des examens gynécologiques étaient pratiqués sur un grand nombre de femmes qui, en fait, ne se prostituaient pas. Après deux décrets d'extension en 1866 et 1869, cette loi fut finalement abrogée en 1886, notamment grâce au militantisme de Josephine Butler, une féministe qui fut, parmi d'autres, à l'origine de la fondation d'une organisation ayant pour but l'abrogation des lois pour la prévention des maladies contagieuses (Contagious Diseases Acts) [1].

[modifier] Réforme des métiers accessibles aux femmes

Au cours du XIXe siècle, trois professions médicales furent ouvertes aux femmes : le métier d'infirmière, celui de sage-femme, ainsi que, en théorie, celui de médecin. Toutefois, seules les femmes infirmières étaient acceptées sans encombre par la société, ce métier étant exercé sous la houlette et sous l'autorité de médecins de sexe masculin. À l'époque victorienne, on pensait en effet que la médecine était le bastion des hommes, sur lequel les femmes ne devaient pas empiéter, et que celles-ci ne devaient pas déroger au rôle de subalterne leur ayant été dévolu par Dieu. En réalité, les Britanniques ne voulaient pas de chirurgiens ou de médecins de sexe féminin, et les femmes demeuraient cantonnées dans leur rôle d'infirmière. Dans cette profession, Florence Nightingale (1820-1910) fut une figure importante du XIXe siècle, en ce qu'elle permit de moderniser l'image traditionnelle de l'infirmière modèle n'ayant d'autre but que celui de se sacrifier pour veiller au bien-être de ses patients, en œuvrant pour l'éducation des femmes et en leur enseignant la bravoure, la confiance en soi et l'affirmation de soi [2]. En dehors du secteur médical, les deux seules activités rémunérées et réputées nobles accessibles aux femmes de la classe moyenne étaient les métiers d'écrivain et de gouvernante.

[modifier] Sources

[modifier] Notes

  1. Predicaments of Progressive Methodism sur le site de la West London Methodist Mission -- Christopher Oldstone en conférence sur Hugh Price Hughes
  2. Elaine Showalter a qualifié Cassandra, une contribution au féminisme et à la littérature de Florence Nightingale, de « texte majeur du féminisme anglais, un lien entre Wollstonecraft et Woolf. », traduction de "a major text of English feminism, a link between Wollstonecraft and Woolf." dans : Sandra M. Gilbert et Susan Gubar, The Norton Anthology of Literature by Women: The Traditions in English, éditions W.W. Norton, 1996, pages 836-837.
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