Byrsa

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Piles de fondations romaines et vue sur le Djebel Boukornine
Piles de fondations romaines et vue sur le Djebel Boukornine

Byrsa est le nom de la colline qui abrite aujourd’hui le site du Musée national de Carthage et de la cathédrale Saint-Louis et domine le site archéologique de Carthage.

Sur un espace chargé d’histoire, un retour au passé pré-romain est possible suite aux travaux effectués dans le cadre de la campagne internationale de l’Unesco et en dépit de la malédiction de Caton l’Ancien.

Sommaire

[modifier] Histoire d’un site et étymologie

[modifier] Étymologie d’un lieu

On a identifié le lieu longtemps dénommé comme la « colline saint Louis », point culminant de Carthage, comme étant Byrsa, l’antique citadelle punique.

L’appellation « Byrsa » proviendrait du terme grec βυρσα qui signifie « bœuf ». Selon Virgile (L'Énéide, I, 367) et Justin (XVIII, 5, 9), elle se rattache à la légende de la fondation de Carthage par Didon : cette dernière achète aux indigènes autant de terres que peut couvrir une peau de bœuf. Déjà, Stéphane Gsell faisait en 1913 le lien entre la légende grecque et un mot phénicien « d’un sens tout différent, qui se prononçait à peu près de la même manière »[1]. Cette légende est diffusée à partir de l’époque où Carthage est imprégnée d’hellénisme. Il peut être noté que le nom Qart Hadasht n’est pas certain avant le Ve siècle av. J.-C.. Peut-être faudrait-il plutôt rechercher l’origine de « Byrsa » dans un mot sémitique comme bostra (escarpement). Édouard Lipinski lie pour sa part la légende du découpage de la peau de bœuf à un rite d’origine orientale de prise de possession du site après en avoir fait le tour[2]. Le même évoque l’hypothèse que l’origine du toponyme viendrait de termes signifiant « puits de brebis », le terme utilisé dénotant une construction et non une source naturelle, cette dernière se situant à proximité du rivage[3].

[modifier] Byrsa comme lieu de la Carthage primitive ?

L’installation des Tyriens à Carthage et dans l’actuelle Tunisie pourrait aller de soi dans le cadre de l’expansion méditerranéenne des Phéniciens : localisation parfaite, entre mer et collines, bien meilleure qu’à Utique, le vieux comptoir fondé en 1100 av. J.-C. qui « ne leur paraissait pas propre à satisfaire les besoins d’une population nombreuse[4]. » À cette exigence de sécurité devait correspondre un site exceptionnel qui permettrait d’avoir un point d’ancrage fiable et stratégiquement intéressant pour le développement commercial escompté.

[modifier] Place de Byrsa dans le site de Carthage

Au sud-ouest du site se situait une vaste lagune nauséabonde mais poissonneuse : l’actuel golfe de Tunis. Au nord, le golfe d’Utique, qui peu à peu s’encombra des alluvions de l’actuelle Medjerda. Le paysage du site est marqué par des collines formant un arc ouvert vers l’ouest, offrant ainsi une ample vision sur la mer et également une certaine protection de par la présence de falaises. Au sud, on trouve une plaine littorale bordée de baies à proximité du tophet de Salammbô.

L'occupation d'une colline offrait-elle à elle seule la sécurité nécessaire ? Si l’on fait le parallèle avec bien des sites, le rôle de citadelle semble certain, de par l’utilisation classique des points hauts comme acropole (ἀκρόπολις ou ville haute). Mais il serait étonnant que les colons se soient contentés de la colline, tandis que l’isthme était à leur disposition. Le site et l’isthme couvrent une superficie d’environ 50 km² au total, un espace suffisant pour une colonie prospère.

[modifier] Ébauche de l’histoire du site

[modifier] Antiquité

Toute l’historiographie punique effectue une mise en parallèle de Byrsa, la citadelle, zone d’habitat dense et de Mégara, faubourg moins dense : « Au milieu de la ville se situait l’acropole, qu’on appelait Byrsa (Strabon, XVII, 3, 14). »

Toute la ville archaïque s’est développée entre la mer et la colline alors que le sud de la colline a vu apparaître une nécropole à l’époque archaïque. Des ateliers métallurgiques du IIIe siècle av. J.-C. ont pu y être reconnus.

Le sommet de la colline a été totalement arasé, faisant disparaître à tout jamais l’espace ayant résisté le plus longtemps aux soldats de Scipion l’Africain. Comme l’écrit Serge Lancel, « cette éradication qui n’était pas sans motivations politiques a fait disparaître toute trace de ce qui avait toute chance d’être, depuis les origines, le cœur religieux de la métropole punique[5]. » L’aménagement romain a permis d’installer une vaste esplanade de 13 000 m² autour de laquelle furent construits les monuments du forum de la colonie , ce dès le début de la colonie augustéenne. Cette appropriation de l’espace était politique et ne répondait pas à une utilité autre que témoigner de la grandeur de l'Empire romain. Siège du proconsul, représentant de l’empereur, Carthage devait se montrer digne de Rome.

[modifier] Époque moderne et contemporaine : de Saint Louis à Byrsa

Dans le contexte d’abandon qui suivit sa chute et qui caractérise pour plus d’un millénaire Carthage — si l'on ne tient pas compte de la prédation —, le silence envahit le site qui vécut les dernières heures de la domination punique. Au début du XIXe siècle, Carthage est vue selon une perspective romantique. Ainsi, Chateaubriand écrit :

« Pour se retrouver dans ces ruines, il est nécessaire de suivre une marche méthodique [...] le sommet de l’acropole offre un terrain uni, semé de petits morceaux de marbre, et qui est visiblement l’aire d’un palais ou d’un temple. Si l’on tient pour le palais, ce sera le palais de Didon ; si l’on préfère le temple, il faudra reconnaître celui d’Esculape[6]. »

Du fait de la tradition situant la mort de Louis IX de France (saint Louis) en 1270 sous les murs de Carthage, une chapelle lui est consacrée en 1830 sur la colline suite à l’autorisation donnée par Hussein II Bey. Avec l’avènement du protectorat et l’installation des pères blancs, l’occupation du sommet du plateau voit la construction de la cathédrale néo-byzantine actuelle.

[modifier] Archéologie punique à Byrsa

Les premières fouilles du site sont effectuées en 1859 par Charles Ernest Beulé qui disposait d’un site quasiment vierge et découvrit les absides qui portent encore son nom.

Viendront ensuite le père Alfred Louis Delattre (à partir de 1880) puis Charles Saumagne (1924 à 1933), Gabriel-Guillaume Lapeyre (années 1930) et Colette Picard.

Dans le cadre de la campagne de sauvegarde de l’Unesco, la fouille du site est confiée à l’équipe française de Jean-Paul Morel et Serge Lancel, pour les vestiges puniques, et à Pierre Gros et Jean Deneauve pour ceux de l’époque romaine.

[modifier] Vestiges archéologiques

[modifier] Aménagements puniques

[modifier] Sommet de la colline

Le sommet de la colline est perdu à jamais de par son arasement. L’enceinte de l’acropole, le temple d’Eshmoun, l’escalier de 60 marches qui montait vers le sommet, tous les éléments signalés par les auteurs anciens sont donc voués à ne rester que des mots. Des installations métallurgiques des Ve-IIIe siècle av. J.-C. ont toutefois été dégagées sur les flancs de la colline.

Les sources parlent d’une jonction entre la ville basse et l’acropole mais celle-ci est invérifiable et rend la localisation précise de la citadelle impossible.

[modifier] Vestiges du flanc sud : le quartier Hannibal

Plan du « quartier Hannibal » dégagé par l’équipe française
Plan du « quartier Hannibal » dégagé par l’équipe française

Un quartier d’habitat tardif (IIe siècle av. J.-C.) a fait l’objet d’un dégagement attentif par l’équipe de Jean-Paul Morel et de Serge Lancel. Il est baptisé « quartier Hannibal » car supposé lié à l’activité édilitaire de ce dernier lors de son suffétat après la Deuxième Guerre punique.

Tout dans ce témoignage d’urbanisation au second siècle démontre la prise en compte du relief de la colline :

  • quartier orthogonal : rationalisation de l’espace dans le cadre d'un programme volontaire d'urbanisme
  • changements d’axe pour prendre en compte le relief du terrain
  • escaliers construits dans la rue pour faire face au dénivellé du terrain
  • citernes : les archéologues n'ont retrouvé qu'une seule fontaine d'époque punique (fontaine aux 1000 amphores) sur le Borj Djedid. Chaque habitation se devait d'avoir une citerne pour l'usage de ses habitants.
  • organisation des maisons : constructions stéréotypées, avec un espace commercial à l’avant, un long couloir sur la droite et une cour autour de laquelle s’organisent quelques pièces avec un puisard.

Les archéologues ont pu retrouver un témoignage intéressant et très répandu : la présence de pavements de mosaïques (dits pavimenta punica). Un manque toutefois doit être signalé : le développement de la cité en hauteur cité par Appien (Lybica, 128), avec des immeubles de six étages, n'a pu être retrouvé même si les débris de destruction laissent à penser à plusieurs niveaux[7].

Quartier Hannibal
Remblais romain et ruines puniques
Remblais romain et ruines puniques
Rue du quartier de Byrsa
Rue du quartier de Byrsa
Vue sur le quartier punique de Byrsa
Vue sur le quartier punique de Byrsa
Maison punique de Byrsa
Maison punique de Byrsa
Mosaïque punique dite pavimenta punica
Mosaïque punique dite pavimenta punica

[modifier] Extrémité sud : les tombeaux puniques

Une nécropole des VIIe-VIe siècle av. J.-C. a été fouillée dès le temps des pionniers de l’archéologie punique. « Un peu avant et un peu après 1900, près d’une centaine [de tombeaux] ont été l’objet de fouilles parfois prétextes à des cérémonies mondaines[8]. » Ces fouilles ont livré du matériel archéologique intéressant et ont enrichi les collections du Musée national de Carthage bien que le site ait été pillé dès l’Antiquité.

Construits en blocs rectangulaires sans mortier, avec un plafond en pierres plates avec dalles formant arcs de décharge, les tombeaux étaient fermés par des dalles monolithiques. En général, un à trois corps furent trouvés au cours des fouilles[9].

Tombeaux puniques
Tombeau punique du flanc sud de Byrsa
Tombeau punique du flanc sud de Byrsa
Ouverture d’un tombeau punique
Ouverture d’un tombeau punique
Tombes puniques exposés
Tombes puniques exposés

[modifier] Fosses communes fouillées par Delattre

À proximité, quelques dizaines de mètres tout au plus, furent découvertes ce qui reste l'un des témoignages les plus prenants du drame qui se joua ici : deux fosses communes contenant des centaines de victimes des derniers jours de la Carthage punique. La tragédie punique, le massacre de certains des derniers habitants et non seulement les combattants, et l’asservissement des autres trouve ici une preuve flagrante.

[modifier] Aménagement de la colline à l’époque romaine

[modifier] Centre de la colonie romaine

Sur Byrsa se situait le groma : centre géométrique de toute cité romaine, à l’intersection du cardo et du decumanus. Le nouveau pouvoir décida l’arasement de la colline (3 à 4 hectares) avec le rejet des terres du sommet sur les pentes. En effet, une « grande surface plane et orthogonale, orientée suivant les axes retenus pour la cadastration de la nouvelle ville, se prêtait mieux à l’implantation d’ensembles monumentaux de grande ampleur : basilique, forum, temples[10]. »

Il ne faut pas omettre la volonté des conquérants de s'approprier l'espace de la citadelle tout en opérant une rupture, « [l']esplanade ne correspondant plus aux niveaux d'occupation punique, [cessant] [...] d'être sacer, c'est-à-dire maudite[11]. »

La construction du soubassement avec les « arches de Beulé » permit l’élévation des bâtiments du forum. Les murs de soutènement du forum — deux murs et une série d’absides — ont fait l’objet d’un dégagement.

Ruines romaines
Absides de Byrsa
Absides de Byrsa
Terrassement de Byrsa à l'époque romaine
Terrassement de Byrsa à l'époque romaine
Maquette de Byrsa à l'époque romaine
Maquette de Byrsa à l'époque romaine

[modifier] Vestiges romains

Les vestiges romains visibles sont paradoxalement très faibles en regard des travaux d’urbanisme effectués afin de bâtir les bâtiments propres à remplir « les multiples fonctions administratives, politiques et religieuses d'un centre urbain qui est aussi une capitale de province[12] » :

  • Le centre du forum et le capitole ne sont pas visibles du fait de la présence de la cathédrale et des bâtiments du musée actuel.
  • Face au musée, les vestiges de la basilique judiciaire ont pu être identifiés tout comme les « absides de Beulé »
  • Les piles de fondations parsèment le quartier.

[modifier] Références

  1. Stéphane Gsell, Histoire ancienne de l'Afrique du Nord, tome I, éd. Hachette, Paris, 1913, p. 384 cité par Édouard Lipinski, « Byrsa », Carthage et son territoire dans l’Antiquité, IVe colloque international (tenu à Strasbourg du 5 au 9 avril 1988), éd. du CTHS, Paris, 1990, p. 123
  2. Édouard Lipinski, op. cit., p. 125
  3. Édouard Lipinski, op. cit., p. 129
  4. Gilbert Charles-Picard, Le monde de Carthage, éd. Buchet/Chastel, Paris, 1956, p. 20
  5. Serge Lancel, Carthage, éd. Fayard, Paris, 1992, p. 69
  6. Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, 7e partie (Voyage de Tunis et retour en France), éd. La Pléiade, 1969, pp. 1198 et 1202
  7. Serge Lancel et Jean-Paul Morel, « La colline de Byrsa : les vestiges puniques », Pour sauver Carthage. Exploration et conservation de la cité punique, romaine et byzantine, éd. Unesco/INAA, 1992, p. 55
  8. Serge Lancel, op. cit., p. 71
  9. Colette Picard, Carthage, éd. Les Belles Lettres, Paris, 1951, p. 35
  10. Serge Lancel, op. cit., p. 211
  11. Pierre Gros, « Colline de Byrsa : les vestiges romains », Pour sauver Carthage. Exploration et conservation de la cité punique, romaine et byzantine, éd. Unesco/INAA, 1992, p. 101
  12. Pierre Gros, op. cit., p. 103

[modifier] Bibliographie

  • Maria Giulia Amadasi Guzzo, Carthage, éd. PUF, Paris, 2007 (ISBN 9782130539629)
  • Claude Baurain et Corinne Bonnet, Les Phéniciens, marins des trois continents, éd. Armand Colin, Paris, 1992 (ISBN 2200212232)
  • Azedine Beschaouch, La légende de Carthage, éd. Découvertes Gallimard, Paris, 1993 (ISBN 2070532127)
  • François Decret, Carthage ou l’empire de la mer, éd. du Seuil (coll. Points histoire), Paris, 1977 (ISBN 2020047128)
  • Hédi Dridi, Carthage et le monde punique, éd. Les belles lettres, Paris, 2006 (ISBN 2251410333)
  • Abdelmajid Ennabli et Hédi Slim, Carthage. Le site archéologique, éd. Cérès, Tunis, 1993 (ISBN 997370083X)
  • M'hamed Hassine Fantar, Carthage. Approche d’une civilisation, éd. Alif, Tunis, 1993
  • M'hamed Hassine Fantar, Carthage la cité punique, éd. Cérès, Tunis, 1995 (ISBN 9973220196)
  • Michel Gras, Pierre Rouillard et Javier Teixidor, L’univers phénicien, éd. Arthaud, Paris, 1994 (ISBN 2700307321)
  • Pierre Gros, « Colline de Byrsa : les vestiges romains », Pour sauver Carthage. Exploration et conservation de la cité punique, romaine et byzantine, éd. Unesco/INAA, 1992, pp. 99-103 (ISBN 9232027828)
  • Madeleine Hours-Miédan, Carthage, éd. PUF, Paris, 1982 (ISBN 2130374891)
  • Christophe Hugoniot, Rome en Afrique. De la chute de Carthage aux débuts de la conquête arabe, éd. Flammarion, Paris, 2000 (ISBN 2080830031)
  • Serge Lancel, Carthage, éd. Fayard, Paris, 1992 (ISBN 2213028389)
  • Serge Lancel et Jean-Paul Morel, « La colline de Byrsa : les vestiges puniques », Pour sauver Carthage. Exploration et conservation de la cité punique, romaine et byzantine, éd. Unesco/INAA, 1992, pp. 43-68 (ISBN 9232027828)
  • Yann Le Bohec, Histoire de l’Afrique romaine, éd. Picard, Paris, 2005 (ISBN 2708407511)
  • Édouard Lipinski [sous la dir.], Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, éd. Brépols, Paris, 1992 (ISBN 2503500331)
  • Colette Picard, Carthage, éd. Les belles lettres, Paris, 1951
  • Hédi Slim et Nicolas Fauqué, La Tunisie antique. De Hannibal à saint Augustin, éd. Mengès, Paris, 2001 (ISBN 285620421X)
  • Comité des travaux historiques et scientifiques, Carthage et son territoire dans l’Antiquité, IVe colloque international (tenu à Strasbourg du 5 au 9 avril 1988), éd. du CTHS, Paris, 1990 (ISBN 2735502015)
  • Collectif, La Tunisie, carrefour du monde antique, éd. Faton, Paris, 1995
  • Collectif, Carthage. L’histoire, sa trace et son écho, éd. Association française d’action artistique, Paris, 1995 (ISBN 9973220269)
  • Collectif, « La Méditerranée des Phéniciens », Connaissance des arts, n°344, octobre 2007

[modifier] Voir aussi

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