Bioéthique

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La bioéthique est une partie de l'éthique. En tant que telle, elle est une recherche de normes morales applicables aux sciences du vivant, y compris la médecine. Le terme « éthique » provient du grec êthos qui, comme le latin mores, renvoie au comportement, aux mœurs. Il s'agit donc, au sens strict, d'une réflexion critique sur les comportements et les attitudes qu'on adopte dans le domaine des sciences de la vie et de la santé. De plus, la bioéthique a vocation à être pluridisciplinaire, puisque sa portée s'étend aussi bien à la médecine et à la biologie qu’à la philosophie, au droit, à la théologie, etc.

La science en elle-même n'a pas pour tâche de définir les valeurs humaines. Elle doit donc être confrontée aux autres sciences, notamment aux sciences humaines, et l'homme doit aborder la question du sens et des conséquences des progrès scientifiques. La bioéthique est la recherche des réponses à ces questions. En cherchant à définir les frontières du possible et du légitime, elle demeure dans la tradition des réflexions éthiques de notre passé.

Sommaire

[modifier] Domaines de la bioéthique

[modifier] Biotechnologies appliquées à l'homme

La bioéthique est devenue un sujet d'actualité, suite aux manipulations génétiques effectuées sur les plantes alimentaires, au clonage et à l'utilisation d'embryons humains. Il faut noter que, historiquement, elle est apparue au moment où le pouvoir fourni par la médecine est devenu plus important (maîtrise de la fécondité par les femmes grâce à la pilule contraceptive, apparition des premiers services de soins intensifs avec la possibilité, inconnue jusqu'alors, de l'acharnement thérapeutique et la difficulté inédite qu'il y avait à prendre la décision d'arrêter un traitement devenu futile). De même, l'évolution de l'attitude à l'égard de la science faisait qu'elle ne bénéficiait plus d'une aura systématiquement positive (Bombe atomique, expériences des médecins nazis). Enfin, Harry Beecher, dans un article qui fait date dans l'histoire de la bioéthique, avait dénoncé des expériences médicales moralement inacceptables.[1]

[modifier] Procréation humaine

On peut citer toutes les questions ayant trait à (liste non exhaustive) :

  • L'assistance médicale à la procréation a été l'un des premiers objets de réflexion de la bioéthique, à cause de son potentiel eugéniste. Ainsi, en France, le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a été créé en 1983 après la première naissance par Fivete en 1982.
  • La contraception ;
  • L'avortement ;
  • Don de gamètes ou d’embryons ;
  • L'hypothèse d'une gestation de l’embryon humain par des espèces non humaines ;
  • Les questions de clonage humain ;
  • Le diagnostic prénatal ou préimplantatoire ;
  • Les thérapies géniques ;
  • L'eugénisme (stérilisation d'handicapés mentaux et de personnes à risque génétique...) ;
  • statut juridique de l'embryon et du fœtus, lié à la dignité de la vie humaine...

[modifier] Génie génétique

Si la transgénèse pose le problème de la bioéthique, les réactions les plus fréquentes face au génie génétique sont largement fonction de l'objectif final, plus que de l'organisme concerné, tout du moins lorsque cet organisme n'est pas d'origine humaine.

Ainsi, le génie génétique ayant des buts médicaux et pharmaceutiques (fabrication de vaccins, thérapie génique, diagnostic prénatal) est-il mieux perçu que les manipulations ayant des buts alimentaires ou ludiques (OGM, clonage d'animaux familiers) qui soulèvent beaucoup plus de problèmes. Mais cette affirmation n'est pas toujours vraie, puisque le système de greffe sur les plantes existe depuis plus d'un millénaire et n'est décrié par personne (une branche est prise sur une plante A, est collée à une plante B et les fruits qui en résultent présentent des caractéristiques génétiques hybrides). On peut citer à titre d'exemple la clémentine.

Le développement de la génétique est si rapide que la plupart des mutations à l'origine d'affections monogéniques sont connues, et il est probable qu'on connaîtra rapidement un très grand nombre de gènes de prédisposition à d'autres maladies. Il faut donc s'attendre à l'apparition de tests de prédisposition génétiques pour un nombre de plus en plus grand de maladies. Si ces tests sont des alliés précieux en matière de santé publique et de prévention des risques, ils font craindre l'apparition de discriminations, par exemple pour l'accès à l'assurance ou au marché du travail. Le film d'anticipation Bienvenue à Gattaca dénonce les méfaits d'une société basée sur ces valeurs.

Les manipulations humaines (profil génétique, clonage reproductif, amélioration) sont de plus en plus débattues par la communauté scientifique.

[modifier] Brevetage du vivant

Le problème du brevetage du vivant consiste à savoir si une séquence de gènes est brevetable et si les applications de sa découverte, médicaments, tests, etc., le sont également. C'est un enjeu de première importance pour les entreprises qui ont investi des sommes d'argent considérables dans le décodage du génome humain, mais également pour les éventuels progrès de la connaissance induits par la découverte de ces gènes. En outre, la question des brevets de médicaments pose le problème de l'accès au soin pour les plus pauvres. Une législation mal adaptée pourrait conduire à la biopiraterie.

Selon une déclaration de l'Unesco du 11 novembre 1997, le génome humain est un patrimoine de l'humanité et il ne peut faire l'objet de commercialisation. Le décodage du génome ne peut être breveté ; mais à partir de ce décodage, les applications thérapeutiques peuvent l'être.

[modifier] Interventions sur le corps et l'esprit humain

  • prélèvements d'organes et de tissus : la vente d'organe étant interdite dans de nombreux pays, les législateurs ont dû définir comment la pénurie d'organes devait être gérée. En France, a été créé en 1992 un registre des refus, qui consigne tous les refus au don d'organe. Le don de cellules souches et le clonage thérapeutique sont également sujets à controverses.
Icône de détail Articles détaillés : Don d'organe et Vente d'organe.
  • prothèses ;
  • gestion des banques d'organes ;
  • neurochirurgie : en Russie, par exemple, il est légal d'opérer (même sur des mineurs) le cerveau de personnes, afin de limiter leurs comportements violents ;
  • utilisation des psychotropes...

[modifier] Le vieillir et le mourir

  • acharnement thérapeutique (à partir de quel moment faut-il considérer que le traitement devient trop lourd ?) ;
  • euthanasie ; aide médicale au suicide ; Limitations ou arrêt des thérapeutiques actives (LATA) en réanimation
  • soins palliatifs ;
  • contrôle de la sénescence (personnes atteintes de la maladie de Parkinson...)

[modifier] L'expérimentation

  • expérimentation à visée thérapeutique ou de recherche ;
  • quelles sont les personnes admises (volontaires, prisonniers, personnes saines, malades, handicapés mentaux...) ;
  • embryons surnuméraires utilisés pour la recherche ;
  • l'utilisation des données de santé à caractère personnel dans la recherche...

[modifier] Interventions sur les êtres et les milieux non humains

  • expérimentation sur les animaux
  • préservation des espèces (animales ou végétales), question de la biodiversité : des études récentes démontrent que la biodiversité des milieux aquatiques aide à la reconstitution plus rapide des stocks de poissons ;
  • incidences de la société industrielle sur la biosphère (nouveaux produits mutagènes, organismes génétiquement modifiés...) ;
  • armes biologiques ;
  • clonage sur les plantes (depuis plus d'un millénaire en Chine) ou les animaux ;
  • transgénèse...

[modifier] Bioéthique et nature

La bioéthique pose également la question du sexe avec les animaux , la zoophilie étant un acte interdit alors que l'homme doit contrôler ses pulsions bestiales résultant de son environnement de vie.

Le concept de nature a été utilisé par certains, parfois de façon arbitraire, comme critère du Bien.

Aujourd'hui, l'homme aurait acquis le pouvoir technique de créer du nouveau dans la nature et dans l'espèce humaine. Il faut cependant nuancer cette position puisque la sélection par l'homme des caractéristiques génétiques qui lui convenaient sur les plantes et les animaux datent depuis plusieurs millénaires (plantes greffées, création de races d'animaux...). Ce pouvoir direct des individus sur le génome, pour satisfaire leurs intérêts, nous fait porter un nouveau regard sur l'évolution de la vie telle que nous la connaissons (Théories de l'évolution). La question des bénéfices et des risques impliqués se pose.

De nombreuses personnes redoutent une appropriation de la nature par l'homme et réclament la (re)définition des règles morales actuelles.

La vision la plus traditionaliste demeure assez anthropocentriste et pose comme exigence la minimisation de l'impact de l'homme sur son environnement, de façon à pouvoir le conserver intact et propre à la vie humaine (vie des générations futures). Cette vision est celle couramment suivie en France.

Une approche différente cherche à replacer l'homme au sein de la biosphère. Elle repose sur le concept d'écologie profonde et soutient que l'homme n'a pas plus de droits que les autres espèces vivantes et doit respecter la nature, fut-ce à ses dépens. Il est à noter cependant, que les activités du vivant contribuent à modifier son environnement, comme l'ont fait par exemple, les premières plantes qui ont colonisé la planète, en modifiant la composition de l'atmosphère terrestre par leurs rejets d'oxygène et de dioxyde de carbone.

[modifier] Critique de l'anthropocentrisme par la bioéthique utilitariste

Le courant utilitariste anglo-saxon, principalement développé par les anglophones Jeremy Bentham et John Stuart Mill, redéfinit les personnes qui sont le sujet de la bioéthique ; c'est la définition actualiste des personnes. Pour eux, seules sont des personnes ceux qui présentent certaines caractéristiques, en particulier la conscience de soi, la capacité de communiquer, la possession d'intérêts, de projets, d'une rationalité...

Les êtres humains qui n’actualiseraient pas ces conditions ne sont donc pas considérées comme des personnes, comme par exemple : les embryons, les nouveau-nés, les déments, les comateux, etc.

À l'inverse, il y a des personnes qui ne sont pas des êtres humains, comme certains animaux supérieurs (grands singes anthropoïdes...), auxquels certains attribuent justement les caractéristiques de la personne.

L’enjeu de la bioéthique n’est alors plus ni obligations ni devoirs, ni valeurs en soi, mais la satisfaction des intérêts des différentes personnes, humaines ou animales. C'est l'"éthique des intérêts". Tous les intérêts se valent et doivent être pris en considération d'égale manière ; ils ne sont pas jugés en eux-mêmes. Le principe directeur de cette éthique est ainsi le principe de justice distributive : il faut satisfaire le plus possible d’intérêts du plus grand nombre de personnes, quels qu'ils soient. Les deux principaux intérêts sont la recherche du bonheur et éviter la souffrance ; la moralité d'une action est une réalité qui peut être démontrée et mesurée, à partir de ces motivations élémentaires des êtres vivants sensibles.

Dans ce but, la bioéthique utilitariste introduit la notion de bilan éthique. Ainsi, une vie peut être sauvée aux dépens d'une autre si la qualité de la vie sauvée dépasse celle de la vie sacrifiée. Par exemple, un porc (espèce biologiquement très proche de l'homme et de taille similaire, donc potentiellement intéressante pour des greffes d'organes) est généralement jugé avoir une vie moins riche, moins épanouie, et donc de moindre qualité que celle d'un humain. Le sacrifice du porc pour sauver l'humain serait donc moralement défendable.

Toutefois, les utilitaristes indiquent également que certaines vies humaines peuvent être si dégradées (personnes "légumes", comas profonds irréversibles, personnes dont les souffrances sont extrêmes et incurables) que leur qualité est inférieure à la qualité de vie de certains animaux. Ainsi, pour être cohérent, il ne faudrait pas seulement permettre l'utilisation de xénogreffes, mais également ne pas rejeter a priori l'utilisation des organes de certains humains grabataires.

La démarche utilitariste est une démarche rationnelle qui consiste à mettre en balance le positif et le négatif d'une action eu égard à ses conséquences globales. Autrement dit, une action est moralement acceptable à partir du moment où elle est jugée plus utile que nuisible, non pas du seul point de vue de la personne qui agit mais du point de vue du bien commun de l'ensemble des personnes que cette action affecte. Tout le questionnement éthique réside alors dans l'évaluation du bilan d'une action, et de nombreux débats et polémiques naissent de la difficulté de cette évaluation.

Néanmoins, ce courant fait l'objet de beaucoup de critiques, en particulier parce qu'il ouvre la voie à de nombreuses dérives. Ainsi, certains évalueraient[réf. nécessaire] par exemple que l'euthanasie des personnes âgées serait globalement utile, car d'un côté elle ferait faire de substantielles économies profitant à tout le monde, et de l'autre côté elle ne serait selon eux que peu préjudiciable aux personnes concernées qui ne perdraient que quelques années d'une vie de déchéance et de souffrance.

De plus, en droit, tout être humain est détenteur de droits (droits de l'homme) ; il est théoriquement impossible de les enfreindre. Il faut nuancer cette position, cependant, puisqu'elle revient en partie à reporter le débat sur la qualification au sens scientifique de ce qu'est l'être humain. On pourrait ainsi, par exemple, dire que les embryons ne seraient pas des êtres humains.

[modifier] Évolution du cadre juridique

Les premières règlementations sur la bioéthique datent de 1931 et résultent de circulaires allemandes sur l'éthique médicale, qui seront reprises comme base légale pour les expérimentations dans les camps de concentration nazis. Il convient donc d'être prudent dans l'approche de cette bioéthique.

Les premières règles de bioéthique, tel que l'on définit aujourd'hui ce terme, seront l'œuvre du tribunal de Nuremberg, chargé de juger les médecins nazis. Dans un premier temps, le tribunal constatera l'absence de normes pour pouvoir procéder à ce jugement. Il aurait pu condamner ces médecins au titre qu'ils exerçaient dans un but autre que curatif (il y avait déjà eu de telles condamnations pour des médecins pratiquant des expérimentations, mais jamais à une telle échelle). Cependant, le tribunal décida de reconnaître la légitimité des essais, puisque la science n'avance que par des expérimentations sur l'homme. Ce n'est que dans le second temps de son raisonnement qu'il pose les règles à suivre pour encadrer cette activité. Ainsi, il énoncera un code déontologique appelé le Code de Nuremberg, composé de dix règles sur l'expérimentation humaine. La première de ces règles est le consentement des personnes ; l'expérimentation doit être nécessaire ; on doit évaluer la proportionnalité entre les risques pour le patient et le bénéfice pour la science ; le but de l'expérimentation doit être scientifique... C'est à ce titre que les médecins nazis seront condamnés, le tribunal jugeant que ces règles qu'il venait d'élaborer tenaient à la dignité de la personne humaine et donc que le principe de non-rétroactivité de la loi pénale ne s'appliquait pas.

L'assemblée de l'Association médicale mondiale à Helsinki en 1964, puis la conférence internationale de Manille de 1981, s'inspirant des travaux de Nuremberg, émettront des déclarations internationales sur l'expérimentation.

Suite à Nuremberg et Manille, les pays vont peu à peu encadrer les expérimentations.

En France, il faudra attendre la loi du 20 décembre 1988 pour que l'on voie apparaître une règlementation, qui n'est prévue alors que pour l'expérimentation sur des cobayes consentants. Cette loi pose le principe général de la non-rémunération des expérimentations. Par la suite, les lois du 29 juillet 1994 sur le corps humain, le don et l'utilisation des éléments et produits du corps humain, poseront les bases du droit actuel en matière de bioéthique. Avec les lois du 6 août 2004 modifiant celles de 1994, le terme de bioéthique apparaîtra pour la première fois en droit positif. Elles traitent de deux thèmes majeurs : la question du clonage de l'embryon et des prélèvements d'organes.

Les attitudes face au débat de la bioéthique sont très variées : certains n'y percevant pas le moindre enjeu moral, dès lors que la sécurité de l'espèce humaine est assurée ; d'autres percevant les évolutions actuelles comme une ultime transgression vis-à-vis de la nature humaine.

Sur le plan politique, il s'agit d'arbitrer et de contrôler la recherche sur le vivant et l'exploitation commerciale de ses résultats. Le but de ce contrôle est de s'assurer que les pratiques induites par ces avancées technologiques resteront moralement acceptables par la société.

En pratique, il est très difficile de restreindre la recherche par la loi : rien n'empêche une équipe de s'installer dans un pays plus permissif. Le risque pour les pays prohibitionnistes étant de perdre des compétences dans des technologies intéressant leur avenir. C'est un argument mis en avant par les partisans des OGM qui agitent le spectre d'un retard technologique de l'Europe dans ce domaine. Ce risque est d'autant plus grand que le jeu des brevets peut verrouiller des pans entiers de la recherche.

[modifier] La morale dans la science

[modifier] La question philosophique du respect de l'Etre vivant

On ne peut aborder la question philosophique du respect de l’être vivant sans invoquer l’impératif catégorique kantien : « agis de telle façon que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autres, toujours en même temps comme fin, jamais simplement comme moyen »¹ . Cette maxime constituerait pour certains le fondement même de la bioéthique : le principe de respect de la dignité humaine comme « principe matriciel » de la bioéthique ². Kant développe le principe de dignité comme « valeur intérieure absolue ³» qui exprime une exigence de non-instrumentalisation de l’être humain (en matière d’expérimentation biomédicale ou de transplantation d’organes par exemple). On peut néanmoins douter de la pertinence de l’application quasi-systèmatique de cette référence à l’ensemble des questions que traite la bioéthique. D’une part le principe de dignité de la personne humaine occulte la question philosophique relative aux autres êtres vivants. D’autre part, ce principe érigé en valeur absolue risque d’entrer en conflit avec d’autres principes telle que la liberté par exemple. Les êtres vivants représentent, dans le langage courant, à la fois les êtres humains, les animaux et les végétaux. Les excès de la « société industrielle » ont conduit dans la seconde moitié du XXème siècle à une prise de conscience de l’intérêt d’une vision moins anthropocentrique du monde, prenant en compte l’ensemble du monde vivant. « La charte de l’environnement ⁴» insérée depuis 2005 dans le préambule de la Constitution française, ainsi que la « déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme ⁵» , adoptée la même année par l’UNESCO, sont des exemples pertinents de ce « recentrage » de la bioéthique et des textes dans lesquels elle s’exprime. Pour ce qui est des conflits de valeur que peut entraîner la promotion unilatérale du principe de dignité de la personne humaine, on peut citer, par exemple, le débat actuel sur l’euthanasie entre ceux qui revendiquent sa légalisation au nom du droit de mourir dans la dignité et ceux qui militent contre cette pratique au nom de ce même principe interprété différemment. D’un côté, la dignité de la personne humaine est comprise comme le devoir de respecter le droit de la personne à choisir sa mort et à ne pas « perdre » sa dignité dans la maladie ; de l’autre, cette dignité est une valeur absolue sur laquelle l’homme individuel n’a aucun pouvoir puisqu’elle appartient à l’humanité dans son ensemble et le respect de cette dignité est compris comme l’accompagnement du malade jusqu’à sa mort sans autre forme d’assistance portant directement atteinte à la vie. Si la référence à la philosophie kantienne est très utilisée à l’appui des réflexions de bioéthique, on peut néanmoins remarquer qu’avec la révolution biotechnologique, la philosophie morale traditionnelle n’apparaît plus suffisante pour répondre à toutes les nouvelles questions éthiques posées. Depuis le siècle des Lumières, la réflexion philosophique s’était plutôt concentrée sur l’humain en tant que citoyen, individu libre, raisonné et raisonnable. Cette réflexion s’est traduite concrètement par la promotion des Droits de l’Homme au moment de la Révolution Française. Or le défi que posent les progrès actuels des sciences et des techniques à la philosophie contemporaine est de réfléchir aux valeurs propres à l’humain et à son rapport au corps, voire même au vivant en général (animaux, environnement). Pour certains, le débat bioéthique ferait naître une nouvelle génération de Droits de l’Homme (après les droits civils et politiques, économiques et sociaux, collectifs) voire serait en rupture avec la conception traditionnelle des Droits de l’Homme. « Les droits de l’homme ainsi revisités ne perdent-ils pas en effet leur essence politique libérale pour asseoir des valeurs morales et contraindre la science? ⁶ ». Le débat entre la primauté de la dignité humaine versus la liberté individuelle est de nouveau mis en exergue au sein même des textes fondateurs de la bioéthique. En effet, la plupart de ces conventions ⁷ font référence à un nouveau système de valeur. La promotion du principe de « dignité de la personne humaine » diffère considérablement de celui de liberté et d’autonomie proclamé par la philosophie des Droits de l’Homme. Le choix morale, juridique ou politique d’accorder la primauté à la dignité au détriment de la liberté dans certains contextes (comme en matière de fin de vie ou de procréation assistée, par exemple) est révélateur d’une conception renouvelée de la société. Ce changement de valeurs de référence fait suite à la prise de conscience du pouvoir démesuré que la science offre aujourd’hui à l’homme sur son propre destin.

Finalement, les réflexions philosophiques contemporaines concernant cette révolution biotechnologique se situent principalement entre deux extrêmes : la « technophobie » représentée par Hans Jonas et son heuristique de la peur ⁸ et la « technophilie » représentée par Engelhardt ⁹ ¹⁰. Mais la plupart des philosophes proposent un juste milieu entre ces deux extrêmes qui vise à ne pas rejeter les progrès scientifiques en se laissant aller au catastrophisme ambiant tout en régulant les pratiques et définissant des valeurs pour la société. La primauté de la dignité humaine dans certains cas ne serait alors pas contraire à la liberté mais en fixerait les limites afin d’assurer la nécessaire cohésion sociale et la survie de l’espèce humaine.


¹ Kant, La métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994

² Noëlle Lenoir et Bertrand Mathieu, Les normes internationales de la bioéthique, Paris, PUF, 2004

³ Kant, ibid.

⁴ charte promulguée le 1er mars 2005 (lien sur le site du ministère de l’écologie)

⁵ Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, UNESCO, 2005

⁶ C. Byk : « Progrès scientifique et droits de l’homme : la rupture? »

⁷ notamment la CEDH et la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme de l’Unesco adoptée en octobre 2005

⁸ H. Jonas, Le principe responsabilité, Paris, Flammarion, 1999

⁹ H.T Engelhardt, The Foundations of Bioethics, Oxford University Press, USA, 1996

¹⁰ Gilbert Hottois, La technoscience : entre technophobie et technophilie, où l’auteur insiste sur l’importance de la première approche chez les philosophes contemporains

[modifier] L'enjeu moral et politique

La bioéthique, née des interrogations éthiques posées par l’usage des « nouvelles » technologies médicales et aux enjeux de pouvoir qu’elles mettent en avant, est, sous cet angle, un domaine de réflexion relativement récent qui se trouve au carrefour de trois disciplines anciennes et ancrées dans la société que sont la morale (philosophique ou religieuse), la science et le politique.

Néanmoins, si le politique, la morale et la science entre autres se réunissent pour dialoguer au sein des institutions de bioéthique nationales et internationales, leurs différences majeures de point de vue constituent souvent un frein à la prise de décision. Le monde de la bioéthique est essentiellement un monde discursif, de débats alors que la politique et la science se situent plutôt au niveau de l’action. Mais cet accent mis sur le dialogue n’est-il pas aussi révélateur d’un nouveau mode de gouvernement qui cherche à dialoguer, faire participer plutôt qu’à surveiller et punir ?¹

D’ailleurs, à la différence de la morale considérée comme plutôt statique et dogmatique, l’éthique est plus dynamique, réflexive et souple et donc s’accorde mieux aux exigences du politique et de la science. En effet, les progrès de la science exigent une réactivité, une réflexion flexible et même anticipatoire. N’est ce pas le rôle essentiel du politique également que de réagir rapidement et d’anticiper les changements de société pour éviter la crise et maintenir la cohésion sociale ?

Il n’est pas anodin que ces dernières années, les néologisme « biopolitique » et « biopouvoir » inventés par Michel Foucault, pour décrire cette nouvelle forme de pouvoir qui s’intéresse aux rapports intimes des sujets à leur corps, se soient formés sur la même base que celui de « bioéthique ». Quel est donc ce « bio » qui est au cœur de nos sociétés contemporaines ? Est ce le vivant saisi par la science avec les révolutions en matière de procréation, de fin de vie, de génétique, etc ? Est ce les sciences humaines et sociales qui cherchent à comprendre la vie ? Est ce le politique voulant avoir une emprise sur les corps ?

L’évolution actuelle de la bioéthique et la place de plus en plus importante que prend cette réflexion au sein du monde politique, des médias et de la société témoigne que l’enjeu est de taille et que les questions auxquelles la bioéthique cherche à répondre sont essentielles pour l’avenir de nos sociétés. Ces réponses faites par les acteurs publics constituent des choix de société fondateurs au sens où ils portent sur les valeurs que la société se donne pour fonctionner et vise à la création de normes sociales. « Dès lors que les politiques en matière de recherche et de santé publique deviennent un des points clés du lien social, nous sommes inévitablement conduits à nous interroger sur la capacité de nos institutions politiques à nous permettre d’en conserver la maîtrise et de dresser des perspectives à leur développement. »²

On assiste ainsi à une multiplication des instances de bioéthique. En France, le Comité Consultatif National de Bioéthique a été créé en 1983. Il a pour mission de rendre des avis sur les problèmes éthiques que pose le progrès des sciences et des techniques³(3) . Pour la première fois, une instance pluridisciplinaire se voyait confier le rôle d’animer un débat public sur les problèmes soulevés par l’évolution des sciences et des techniques. Mais cette instance, comme son nom l’indique, n’est que consultative, et laisse le soin aux autorités compétentes de fixer les règles. Est-ce cette difficulté à conjuguer de concert l’éthique et le droit qui conduit, après 25 ans de fonctionnement, à une réflexion, voire une volonté politique, de modifier l’organisation du comité ? Il est vrai qu’existe désormais dans le paysage normatif de la bioéthique une Agence de Biomédecine dont les attributions normatives s’étendent également à la réflexion éthique. Au niveau international, le comité directeur pour la bioéthique (CDBI) du Conseil de l’Europe ou les comités international et intergouvernemental de bioéthique de l’Unesco ont une activité importante et une influence certaine sur les grandes thématiques de la réflexion bioéthique. Parallèlement, le « biodroit » se développe et l’activité législative se veut dynamique avec l’adoption en France depuis 1994 de lois dites de bioéthique (révisées une première fois en 2004, une deuxième révision devant être mise en œuvre à partir de 2009). Finalement, la volonté exprimée du Président de la République laisse penser que les principes et valeurs issus des réflexions bioéthiques pourraient bientôt être inscrits au préambule de la Constitution de la V ème République, preuve que la bioéthique, déjà présente dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, est bien un enjeu politique.

¹ D. Memmi et D. Fassin (dir), Le gouvernement des corps, ed EHESS, 2004

² Article Christian Byk, « Bioéthique » in Dictionnaire Permanent Bioéthique et biotechnologies, Ed législatives, Montroge, mise à jour 2005

³ voir site internet du CCNE dont les missions ont été révisées dans la loi du 6 août 2004

[modifier] La morale religieuse

Des ouvrages tels que la Bible ou le Coran fixent des limites morales quant au comportement que l'homme devrait adopter face aux autres hommes.

Cependant, il n'existe pas de telles limites vis-à-vis des autres espèces. Il est difficile de définir les règles morales reliant l'homme et les autres espèces vivantes. Certaines personnes perçoivent la vivisection comme moralement inacceptable. Mais d'autres activités (xénogreffes) sont encore peu évoquées.

Dès le Moyen-âge, prêtres chrétiens et scientifiques refusaient également d'admettre l'argumentation selon laquelle il était inutile de trop chercher à soigner les malades, les vies humaines dépendant de la volonté de Dieu. On ne peut rendre Dieu responsable de l'inaction du médecin : tout doit être mis en œuvre, dans les limites des progrès scientifiques, pour soigner les êtres humains. Avant de s'en remettre à la grâce de Dieu, il convient de tout faire pour se soigner.

[modifier] Les positions personnelles de certains scientifiques

Des scientifiques, qui ont eu autorité sur le monde scientifique, ont très tôt adopté des positions personnelles sur la science et la religion :

[modifier] Conflit d'intérêts

Selon Trudo Lemmens, bioéthicien au Centre conjoint de bioéthique de l'Université de Toronto, un conflit d'intérêts se produit lorsque le jugement professionnel quant à un intérêt premier, comme une recherche ou les soins aux patients, peut être indûment influencé par un intérêt secondaire, comme un gain financier ou le prestige personnel. Les stratégies pour faire face à ces situations incluent la divulgation du conflit, l'établissement d'un système d'examen et d'autorisation, et l'interdiction des activités qui conduisent au conflit.

Cette question du conflit d’intérêts rappelle que la bioéthique est avant tout une branche de l’éthique. Deux affaires récentes témoignent du fait qu’il n’en va pas forcément ainsi, du moins dans l’esprit des dirigeants politiques:

Au cours de la célèbre affaire Hwang Woo-suk, une responsable coréenne pour la bioéthique était co-signataire d’un des articles dont les données avaient été falsifiées. Elle expliqua à la revue Nature qu’elle n’avait pas contribué expérimentalement au travail et que son rôle s’était borné à donner un avis de bioéthique. Tout en acceptant l’idée qu’elle ne pouvait soupçonner la fraude, il est évident que la notion de conflit d’intérêts comme problème d’éthique lui avait échappé.

On peut citer également Axel Kahn (qui fut membre du Comité consultatif national d'éthique) : en tant que Président de la Commission du génie biomoléculaire, il avait émis un avis favorable à la culture des organismes génétiquement modifiés en France (et ce contre l’avis de treize des ministres de l’environnement de la Communauté européenne). N'ayant obtenu en 1997 que l'autorisation d'importer des OGM mais pas de les cultiver, il était parti de la Commission. Quelques mois plus tard, cependant, il fut employé par Rhône-Poulenc, alors même que cette société était intéressée par son avis favorable aux OGM, puisqu'elle était impliquée dans la création d’OGM depuis dix ans (elle a été par la suite condamnée aux États-Unis à retirer de la vente son maïs transgénique pour pollution aux herbicides[2]).

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Références

  1. Beecher, H.K., Ethics and Clinical Research. New England Journal of Medicine. 16th June 1966
  2. Science Frontières : OGM : pour une poignée de mensonges

[modifier] Liens externes

Liens généraux :

Sites officiels français :

Site officiel belge (en français)

[modifier] Bibliographie