Beau

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Temple bouddhique dans les montagnes, copie ancienne d'après Li Cheng. Une thèse courante associe contemplation de la beauté et élévation spirituelle.
Temple bouddhique dans les montagnes, copie ancienne d'après Li Cheng. Une thèse courante associe contemplation de la beauté et élévation spirituelle.

Le beau ou la beauté est une notion abstraite liée à de nombreux aspects de l'existence humaine. Ce concept est étudié principalement par la discipline philosophique de l'esthétique, mais il est également abordé en partie par d'autres domaines (histoire, sociologie, psychologie).

Le beau est communément défini comme la caractéristique d'une chose qui au travers d'une expérience sensorielle (perception) procure une sensation de plaisir ou un sentiment de satisfaction ; en ce sens, la beauté provient par exemple de manifestations telles que la forme, l'aspect visuel, le mouvement, le son, la saveur, l'odeur.

Sommaire

[modifier] Difficultés d'une étude unifiée

La distinction entre ce qui est beau et ce qui ne l'est pas varie suivant les époques et les individus. Ce que l'on entend même par sentiment du beau diffère selon les penseurs et bien des cultures n'ont pas de mot qui corresponde exactement au beau du français actuel.

[modifier] Diversité des beaux objets

Chez les grecs, la beauté est liée à l'idée d'équilibre, d'harmonie mathématique entre le tout et ses parties. Ici, une copie du Diadumène de Polyclète, v. 100 av. J.-C., Musée national archéologique d'Athènes
Chez les grecs, la beauté est liée à l'idée d'équilibre, d'harmonie mathématique entre le tout et ses parties. Ici, une copie du Diadumène de Polyclète, v. 100 av. J.-C., Musée national archéologique d'Athènes

Dans l'Hippias majeur, Socrate demande ce qu'est le beau. Une réponse d'Hippias est : « une belle vierge, voilà ce qu'est le beau ». Contre cette affirmation, Socrate fait valoir qu'il existe aussi de belles juments et de belles lyres. La diversité des beaux objets semble décourager l'analyse de la beauté en soi, et, de fait, ce dialogue de Platon se termine par une aporie : aucune définition satisfaisante du beau n'est trouvée.

[modifier] Sources culturelles des jugements de goût

Mais la difficulté ne s'arrête pas là : non seulement chaque individu peut considérer comme beau des objets très divers, mais tous les hommes ne considèrent pas comme beaux les mêmes objets.

On ne peut considérer comme beau un objet que s'il jouit d'une certaine reconnaissance, généralement d'origine culturelle. Dans Histoire de la beauté, Umberto Eco compare des objets que l'Occident a jugés beaux à différentes époques. Il relève par exemple le fait qu'une machine n'était jamais considérée comme belle dans la Grèce antique mais l'est souvent à l'époque contemporaine. Pour reprendre le dialogue de Platon, on peut penser à l'indignation d'Hippias lorsque Socrate lui demande s'il existe de belles marmites.

La contemplation même des œuvres d'art peut modifier le regard que l'on porte sur le monde. Selon un exemple célèbre d'Oscar Wilde, la plupart des gens ne voient la beauté des paysages embrumés que dans la mesure où certains peintres leur ont appris à les regarder.

[modifier] Diversité historique des idéaux esthétiques

La diversité des sensibilités n'est pourtant pas le principal obstacle à une définition unitaire du beau. On pourrait dans ce cas dire que le beau se définit de manière subjective : est beau pour quelqu'un ce qui éveille chez lui le sentiment de beauté. Mais les choses sont moins simples. On peut certes dire que ce qui est beau est ce qui plaît d'un point de vue esthétique. Mais il existe une multiplicité de manières de plaire.

Un même individu peut à la fois juger «beaux» une belle femme et une marmite soigneusement ouvragée. Mais ce n'est pas la même sensation qu'il éprouve devant une femme et devant une marmite.

On peut certes considérer qu'il y a une forme de beauté supérieure aux autres, mais les hommes de différentes périodes ont des opinions différentes sur ce que doit être celle-ci. On peut par exemple opposer idéalement une conception « classique » de la beauté, qui valorise la beauté absolue, divine, et une conception « moderne » pour laquelle la beauté la plus profonde est dans l'unique, parfois même dans le bizarre. Au XVIIe siècle : la conception classique de la beauté est contestée, c’est le monde personnel que l’artiste produit qui devient important (comparer Vermeer et Rembrandt). Assez grossièrement, l'on pourrait dire que l'artiste grec ou le peintre de la Renaissance cherche à exprimer une beauté universelle, témoin de l'ordre éternel du cosmos ou de l'harmonie des proportions (voir l'Homme de Vitruve, de Léonard de Vinci), et que l'artiste moderne, en revanche, cherche à produire une émotion esthétique à la singularité irréductible. « Elle est belle, et plus que belle ; elle est surprenante » écrit dans ce sens Baudelaire dans « Le désir de peindre » (in Le Spleen de Paris).

Le beau soulève donc une triple difficulté : il n'est pas appréhendé de la même façon suivant l'objet auquel il se rapporte et il n'est pas ressenti également suivant la sensibilité et les idéaux esthétiques du sujet.

[modifier] Quels critères pour le beau ?

Il ne semble donc pas exister de critère permettant de dire avec certitude si un objet doit être considéré comme beau. Peut-être faudrait-il alors plutôt chercher à expliquer le sentiment de beau par les dispositions de l'esprit humain. David Hume a été, au XVIIIe siècle, le pionnier de cette approche. Il écrit : « La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente ». En outre, il ramène le sentiment de beauté à celui de plaisir : « le plaisir et la douleur ne sont pas seulement les compagnons nécessaires de la beauté et de la laideur, ils en sont l’essence même ». Toutefois, cette approche ne conduit pas nécessairement à un relativisme absolu, Hume lui-même évoque l'éducation et l'unité de la nature humaine pour justifier un certain consensus qui semble règner sur les beaux objets. Hume ne pousse pas beaucoup plus avant son analyse. Des recherches scientifiques récentes ont montré certains facteurs qui contribuaient à faire naître le sentiment de beauté. [réf. nécessaire]

[modifier] La position kantienne

Dire d'une personne, d'un objet, ou même d'une idée qu'il est beau, c'est lui reconnaître une certaine propriété jugée comme positive : la beauté. Mais celle-ci n'est pas d'ordre logique ou scientifique : on ne peut affirmer qu'un objet est beau par les seules lois de la connaissance physique ou mathématique. Elle n'est pas d'ordre moral : un homme beau n'est pas nécessairement un homme vertueux. Elle n'est pas non plus d'ordre pratique : un bel objet n'est pas nécessairement utile. Elle est « esthétique » au sens kantien, puisque ses principes déterminants sont subjectifs : il appartiendrait à l'individu seul de juger de ce qui est beau. Dès lors la réflexion sur le beau pose des difficultés particulières.

Kant, dans la Critique de la faculté de juger (1790), considère qu’il n’y a ni règle ni critère de beauté. Mais Kant remarque aussi que la beauté n’est pas nécessaire à la satisfaction et réciproquement. De plus il souligne qu’il y a dans tout jugement de goût une prétention à l’universalité. Elle n’est simplement pas démontrable : « Est beau ce qui plait universellement sans concept. » La beauté est pour Kant une « satisfaction désintéressée », aucun intérêt pour l'existence de l'oeuvre ne doit rentrer en compte dans le jugement de goût. La beauté de l'oeuvre doit éveiller en nous une satisfaction pure, qui ne sous entend aucun désir de consommation à l'égard de l'oeuvre.

[modifier] La beauté humaine

Des psychologues disent que des personnes ayant certains traits physiques sont jugées plus attirantes de manière à peu près universelle. Les visages symétriques sont par exemple jugés plus beaux que ceux qui le sont moins. Plus généralement, Judith Langlois a montré que les visages se rapprochant le plus de la moyenne étaient jugés plus attirants que ceux ayant des particularités physiques marquées[1]. Ces faits s'expliquent assez facilement par les théories de l'évolution : les mutations génétiques étant le plus souvent délétères, les individus ont tendance à rechercher des partenaires en présentant le moins possible, donc se rapprochant physiquement de la moyenne.

Dans une toute autre optique, on peut voir que "la beauté humaine peut être perçue comme le reflet de l'âme".(J-E Mansart)

Dans son Analyse de la beauté (1753), le peintre anglais William Hogarth présentait la ligne courbe « serpentine » comme la « ligne de beauté » universelle. On peut remarquer que cette courbe se rapproche de celle des corps féminins jugés les plus attirants.

La fascination pour la beauté humaine explique sans doute l'existence et la popularité des concours de beauté.

[modifier] La beauté et le biologique

Dans les années soixante, les éthologues remarquaient que les situations stimulantes artificielles pouvaient surpasser les situations naturelles. L’attraction qu’exerce la beauté proviendrait biologiquement de l’effet du stimulus supranormal. Découvert par Konrad Lorenz, Nikolaas Tinbergen et Irenaus Eibl Ebesfeldt, le stimulus supranormal ou hyperstimulus est un stimulus excessif qui déclenche une réponse plus intense. Ainsi, un œuf vert de taille imposante est préféré par une oie à ses propres œufs. Pour Thierry Lodé, l’existence de ce stimulus révèle que la tendance à l’exagération est une composante fondamentale du biologique qui peut expliquer l’exubérance des traits sexuels chez les animaux, comme la queue du paon ou la pince du crabe violoniste. La sélection sexuelle s’imbriquerait dans une co-évolution antagoniste des traits spécifiques liée au conflit sexuel. La sélection sexuelle amplifierait le maintien de ces caractères outranciers en attisant le désir sexuel. La beauté physique ne serait que le résultat de l’impression exercée par la combinaison de ces caractères extravagants impliquant le développement du désir. Ainsi, la beauté, en tant que stimulus supranormal, serait d’abord un canon de la sexualité. Cette tendance à l’exagération se retrouve dans les œuvres artistiques des premiers grecs et jusqu’à Picasso ou Botero.

Un autre aspect de la beauté, définie à partir de caractères biologiques met en oeuvre, selon Thierry Lodé, le système immunitaire des partenaires sexuels, c'est l'attirance pour les traits symétriques. En effet, la symétrie bilatérale fondamentale du corps est altérée par des accidents de croissance souvent dus à des maladies, ce qui révèle l'affaiblissement du système immunitaire. En choississant des partenaires sexuels aux traits symétriques, l'animal sélectionne un partenaire disposant d'un système immunitaire transmissible à sa progéniture et indemne de maladies. Les fluctuations asymétriques mettent en évidence l'état de santé et les faiblesses génétiques des partenaires.

[modifier] Diversité des émotions esthétiques

[modifier] Sentiment du sublime

Photo d'un typhon sur Hong Kong. Le spectacle des catastrophes naturelles les plus destructrices peut provoquer une émotion esthétique puissante, et très différente de celle née de la contemplation de la beauté classique. Burke et Kant parlent de sublime.
Photo d'un typhon sur Hong Kong. Le spectacle des catastrophes naturelles les plus destructrices peut provoquer une émotion esthétique puissante, et très différente de celle née de la contemplation de la beauté classique. Burke et Kant parlent de sublime.

Edmund Burke, dans Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau (1757), distingue le beau du sublime. Pour lui, le beau est harmonieux et attirant, le sublime disproportionné et terrible. Cette distinction sera reprise par Emmanuel Kant dans sa Critique de la faculté de juger (1790).

[modifier] L'élévation par la beauté

[modifier] Platon : vers l'idée de beau

Chez Platon, le beau est associé au vrai et au bien comme une des idées les plus élevées. L'intuition de la beauté en soi, est supérieure à la jouissance provoquée par les beaux objets particuliers. Dans le Banquet, il montre comment on peut passer du désir des beaux corps à l’amour des belles âmes pour parvenir à la contemplation de la beauté en soi. Etre beau, c’est alors se rapprocher d’un idéal, c’est être ce qui doit être, ce qui assimile la beauté à la perfection esthétique. On associe parfois l’harmonie avec l’ordonnancement mathématique, comme en musique ou dans la fameuse sectio aurea ou encore chez Platon et les pythagoriciens.

En reprenant les trois étapes de l'initiation à la Beauté : la purification, l'ascension et la contemplation, Platon donne une forme dialectique aux mystères orphiques de l'ascension de l'âme vers le divin. Il opère ainsi l'opposition entre le logos et le mythe dans la conception de l'Éros[2].

Platon, comme Aristote après lui, associe le beau et l’harmonieux, dans lequel chaque partie d’un ensemble est accordée au tout. (Voir par exemple la conception tripartite de l’âme ou de la cité dans La République.)

[modifier] Cheminements vers le divin

« Le beau doit nous élever. La fonction de tout art consiste à briser l'espace étroit et angoissant du fini dans lequel est plongé l'Homme tant qu'il vit ici-bas, pour ouvrir une sorte de fenêtre à son esprit qui tend vers l'infini. »
    — Pie XII,
Lettre aux artistes

Dans Éros[3] et Psyché, Apulée désigne la beauté par les noms suivants[4] :

  • Forma, la beauté commune, celle de Psyché et de ses sœurs, c'est-à-dire toute sorte de beauté. « Le nom Forma désigne d'abord la forme au sens concret, le moule qui donne forme. » Il est de la même famille que le nom morphé, forme harmonieuse. Cupidon est désigné par l'adjectif formonsus, la forme-beauté.
  • Species désigne l'aspect visible, perceptible par les sens. « C'est la racine du spectacle, de la vue, de la vision. »
  • Pulchritudo, la beauté propre à Psyché. « Cette beauté échappe au langage humain, au plan humain ; elle a donc rapport avec un niveau divin de la beauté. »

Selon Jean-François Froger, la beauté ne convient en propre qu'au Divin. C'est un transcendantal. Elle est le témoignage silencieux de la grâce. Aphrodite en est l'archétype puisque c'est elle qui fût désignée comme la plus belle des divinités. Psyché figure allégoriquement ce qui dans l'homme relève de ce don divin (la beauté).
La voie de l'Éros[5] est donc cette voie qui, par l'amour, permet à Psyché d'atteindre le Divin. La beauté ne se laisse saisir ni par les sens, ni par l'intelligence discursive. Elle est la caractéristique propre de Psyché, image de la beauté d'Aphrodite, et ne peut s'accomplir qu'en obéissant à l'ordre sacrificiel d'Apollon : elle est d'« essence sacrificielle ».
C'est dans ce sens que cet auteur cite Rainer Maria Rilke lorsqu'il dit que « le beau est le premier degré du terrible »[6], « beauté qui n'est même pas désirée parce qu'elle fait peur ». Et le peuple ne s'y trompe pas : personne, ni roi, ni prince, ni au moins un homme de peuple, ne s'avance plein de désir, pour demander sa main[7]. Psyché en vient à se haïr. Car on admire son aspect divin, mais comme un chef-d'œuvre d'art statuaire, c'est-à-dire comme un spécimen saeculi, une idole du siècle. La beauté de Psyché déclenche ainsi la jalousie de Vénus[8] en tant qu'elle est sacrilège par l'adoration de la beauté humaine[9]. Pour J.F. Froger, la jalousie de Vénus est « le reflet de la disproportion entre l'immortel et le mortel, entre le profane et le sacré ».

[modifier] Le beau et la raison

[modifier] Aristote: le beau comme finalité

Chez Aristote, l’idée de beauté-finalité s’ajoute à celle de beauté-perfection : ce qui est beau n'est pas dû au hasard, mais est réalisé en vue d’un but . Ainsi l’imitation de la nature est contestée par Platon qui n’y voit que simulacre, mais est soutenue par Aristote dans la mesure où pour lui, la nature agit selon des fins qui rendent les choses belles.

[modifier] Hegel et le beau artistique

Hegel, affirme une différence conceptuelle entre le beau de nature et le beau artistique. Pour lui, le beau artistique est «très au-dessus de la nature », parce qu’il est œuvre de l’esprit. Il a pour but « la présentation de la vérité » sous sa forme sensible et permet à l’homme d’accéder à la conscience de soi.

La notion moderne de beaux-arts n’existe pas dans la culture des grecs, qui privilégie l’esprit.

[modifier] Références

  1. LANGLOIS, J.H. & ROGGMAN, L. (1990). Attractive faces are only average. Psychol. Sci. 1, 115-121
  2. cependant, lorsqu'il parle de la « folie divine », moment où l'âme s'unit au divin, il ne parvient pas totalement à s'écarter de la sotériologie
  3. Psyché désigne l'âme, plus précisemment, au sens premier, le souffle.
    Apulée utilise Cupidon pour désigner Éros. Le nom cupido signifie un désir violent. Le verbe cupio, désirer.
    D'après Froger il existe une hypothèse étymologique qui rapproche cupio des mots grecs kapnos, la fumée, et kapos, le souffle, « donné comme synonyme de psyché ».
  4. Jean-François Froger, La voie du désir selon le mythe « Eros et Psyché », Ed. Désiris, 1997, (ISBN 2907653415)
  5. les trois degrés successifs de l'ascension de l'âme suivant les orphiques sont la purification, l’ illumination et l’union au divin
  6. « Denn das Schöne ist nichts/als des Schrecklichen Anfang », Rilke, Duisener Elegien, II
  7. Apulée, L’Âne d’or ou les Métamorphoses, IV,XXXII,1 wikisource
  8. jalousie qualifiée de nefaria, néfaste, c'est-à-dire qui s'oppose au fas, la loi divine (J.F. Froger)
  9. Apulée, L’Âne d’or ou les Métamorphoses, IV, XXX, 1

[modifier] Voir aussi

wikt:

Voir « beau » sur le Wiktionnaire.

[modifier] Bibliographie

Icône de détail Article détaillé : Bibliographie en esthétique.

[modifier] Textes antiques

[modifier] Philosophie moderne

[modifier] Lien externe


[modifier] Articles connexes